Peut-on être catholique et islamophobe ?
Je répondrai à cet article de l'inscrite "Islametvérité" en commençant par dire ceci. Contrairement à ce qu’elle persiste à affirmer de façon fantaisiste et mensongère, je n’ai pas consacré les ¾ de mes commentaires à l’abbé Pagès depuis que je suis sur gloria.tv, ni ne lui ai d’ailleurs consacré « la plupart » (sic) de mes contributions, comme elle l’avait aussi faussement affirmé auparavant ! Si elle parle de mes contributions du dernier mois, j’ai consacré beaucoup (trop) de commentaires à répondre à ses proches sur des sujets divers, dont beaucoup d’attaques ad hominem, mais cela ne concernait pas directement l’abbé Pagès et ses positions personnelles.
Quant au sujet lui-même des "Assises de l’islamisation" de 2010 à Paris, ma critique, exprimée trois ou quatre fois sur gloria.tv, ne portait pas d’abord sur les spécificités politiques et idéologiques (de droite et de gauche), plutôt extrémistes, et parfois antichrétiennes, de ces personnes et groupes présents à ces Assises islamophobes, bien que cela ne soit pas sans conséquences importantes, tant ces options idéologiques particulières sont plus ou moins, sous des formes différentes, incompatibles avec les exigences de la foi catholique. Mais ma critique portait avant tout sur leur passion islamophobe commune, si puissante qu’elle les a poussés à dépasser leurs nombreux désaccords idéologiques et politiques pour organiser ce rassemblement *(1).
Avant d’aborder l’argument principal du père Guy Pagès qui consiste à défendre sa présence à ces Assises pour la bonne cause de l’évangélisation de ces groupes islamophobes, je ferai ces remarques préliminaires sous forme de rappels. Je lui ai toujours reconnu d’être physiquement et moralement courageux, ce qui n’est toutefois pas suffisant pour être fidèle à Dieu. Je ne lui reproche pas pour ma part de mettre en lumière sur la place publique les grandes différences entre la foi catholique et la foi islamique dans une perspective d’évangélisation. Mais je lui reproche de le faire en tant que militant islamophobe revendiqué, en usant çà et là d’arguments hyper-polémiques et agressifs, et malheureusement parfois approximatifs (retournés du reste régulièrement contre lui par des musulmans sur Internet avec parfois des arguments sensés). Parallèlement, j’ai dénoncé aussi l’état d’esprit syncrétiste d’un dialogue islamo-chrétien mal compris, qui ne conduirait pas d’une façon ou d’une autre à l’évangélisation des musulmans. A ce propos, l’aventure islamophobe en solo de l’abbé Pagès ne constitue à mes yeux que le symptôme pastoral regrettable, sous forme de réaction inadaptée, d'autres infidélités au magistère catholique quant à la juste compréhension du dialogue interreligieux, autres infidélités, enclines donc à l’indifférentisme ou au syncrétisme, qui sont nombreuses et sans doute d'ailleurs plus graves que celles de l'abbé Pagès. Je dois reconnaître aussi que beaucoup d’arguments de cette réponse de l’Abbé datant de 2010 sont cohérents dans leur propre logique islamophobe, et sont de bonne qualité, notamment quant à la doctrine catholique sur la laïcité et la liberté de religion.
Mais venons-en à son argument central. Peut-on évangéliser l’islamophobie de personnes et de groupes apparemment très éloignés du Seigneur, pour les amener à Lui ? Sans doute. En étant islamophobe soi-même ? Certainement pas il me semble, et c’est bien là tout le problème. A titre d’exemple caricatural, on ne va pas demander à un alcoolique ou à un ex-alcoolique de faire de la prévention anti-alcool auprès de poivrots en faisant la tournée des bars avec eux ! L’islamophobie de par ses effets sur les esprits peut être comparée d’ailleurs à une forme d’addiction qui tient en esclavage par la peur, l’obsession voire la haine.
Or, s’il est permis à chaque catholique d’avoir, en conscience, ses propres convictions sur la nature et le danger de l’islam (encore faudrait-il parler « des islams » qui divisent le monde musulman en deux grands groupes, sunnites et chiites, bien que ces islams majoritaires et orthodoxes ne soient pas très différents quant à leurs modalités et à leurs objectifs. N'oublions pas non plus le nombre de plus en plus important de musulmans qui aspirent à relire leur tradition religieuse sur des bases plus rationnelles, pacifiques et spirituelles, loin des orthodoxies actuelles qui se sont imposées par la violence au cours de l’histoire), en revanche, il n’est permis à aucun catholique, a fortiori aux évêques et aux prêtres, de prendre prétexte de leurs convictions personnelles sur l’islam pour faire complètement abstraction de ce que l'Eglise catholique en dit dans sa doctrine et sa pastorale. En ce domaine les Textes de l’Eglise, avec leurs propres visions et recommandations claires et cohérentes, abondent. Un exemple ? « Ensemble, chrétiens et musulmans, nous devons faire face aux nombreux défis qui se posent en notre temps. Il n'y a pas de place pour l'apathie, ni pour l'inaction, et encore moins pour la partialité et le sectarisme. Nous ne devons pas céder à la peur ni au pessimisme. Nous devons plutôt cultiver l'optimisme et l'espérance. Le dialogue interreligieux et interculturel entre chrétiens et musulmans ne peut pas se réduire à un choix passager. C'est une nécessité vitale dont dépend en grande partie notre avenir. » (Benoit XVI, JMJ de Cologne, 20 août 2006)
Il est impossible de ne pas entendre ces paroles très fortes, du Pasteur suprême d’alors de l’Eglise, résonner autrement que comme un désaveu ferme et clair envers les tentations et positions islamophobes d’où qu’elles viennent, notamment de l’intérieur de l’Eglise. Rappelons que ces Assises islamophobes ont eu lieu en 2010 et que ces paroles datent de 2006. Un proche de l’abbé Pagès m’interpellait récemment en me posant cette question : de quel droit vous permettez-vous de critiquer le ministère de l’abbé Pagès ? A quoi je répondrai par une autre question : de quel droit le père Pagès se permet-il d’aller aussi ouvertement à l’encontre de ce que l’Eglise commande aux siens ?
Ainsi, quant à l’islam, entre autres, depuis son dernier Concile universel, le Magistère (Evêques unis au Pape), sous l’inspiration de l'Esprit Saint et s'appuyant dans la foi sur Sa Présence secrète et agissante dans les âmes des musulmans de bonne volonté, a choisi, politiquement, pastoralement et aussi doctrinalement, dans les circonstances historiques actuelles, d’inaugurer une étape nouvelle, marquée par le dialogue et la coopération, en posant un regard positif sur ce que l’islam, malgré ses graves erreurs, contient de vérités et de valeurs louables, plutôt que de rallumer les séculaires rivalités guerrières. Attitude du Magistère qui est donc bien différente de celle consistant à dénigrer constamment l’islam et à cultiver un esprit de méfiance systématique vis-à-vis des musulmans.
L’Esprit Saint à travers la voix du magistère catholique *(2) sait pourquoi il est si important dans le contexte historique actuel de ne pas ajouter aux incompréhensions et aux rivalités historiques entre chrétiens et musulmans. Qu’il nous suffise d’ailleurs rationnellement de songer aux armes militaires de destruction massive qui n’ont jamais été aussi terrifiantes qu’à notre époque et qui commencent à se propager en terres d'islam. Et puis, sur un autre plan, de songer aux providentiels et prodigieux moyens de communication modernes (dont l’Internet) et aussi à la certes plus équivoque, quant à ses conséquences, immigration massive des musulmans en terres chrétiennes, pour comprendre que la situation historique est inédite, en ce qu’elle favorise de façon abondante et universelle des contacts directs ou indirects entre chrétiens et musulmans, entre foi chrétienne et foi islamique, avec ce que cela implique aussi hélas massivement de persécutions tragiques en certaines régions. Le monde musulman étant de plus en plus décloisonné, ses populations vont avoir accès, de plus en plus clairement et de façon de plus en plus libre, à la vérité chrétienne, comme jamais auparavant dans l’histoire.
Pourquoi alors dans ce contexte, plutôt providentiellement et historiquement favorable, faire du forcing dans l’évangélisation en direction des musulmans, et, ce qui n’est pas lié directement du reste, céder à la passion islamophobe ? N’est-ce pas ce faisant oublier que la conversion des musulmans dépend pour beaucoup de l’initiative de Dieu et seulement ensuite de ceux qui annoncent l’Evangile du Christ ? Pour la gouverne de ceux qui croient que les musulmans ou d’autres non chrétiens seraient condamnés automatiquement à l’Enfer éternel, qu’ils sachent que le Catéchisme catholique ne défend absolument pas cette croyance. « À ceux-là mêmes qui, sans faute de leur part, ne sont pas encore parvenus à une connaissance expresse de Dieu, mais travaillent, non sans la grâce divine, à avoir une vie droite, la divine Providence ne refuse pas les secours nécessaires à leur salut. En effet, tout ce qui, chez eux, peut se trouver de bon et de vrai, l’Église le considère comme une préparation évangélique et comme un don de Celui qui illumine tout homme pour que, finalement, il ait la vie. » (Lumen Gentium n. 16). « … Nous devons tenir que l’Esprit-Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal. » (Gaudium et Spes, 22.5). L’Ecriture sainte suggère d’ailleurs ces vérités. Entres autres Matthieu 25,31 s. et Luc 12:48 .
Certes les graves erreurs et obstacles quant à l'accès à la plénitude de la vérité contenus dans les autres traditions religieuses, empêchent une multitude d’hommes d’être dès ici-bas vraiment libres, leur font courir de plus grands dangers spirituels et les tiennent dans l’angoisse d’une vie sans perspective éternelle vraiment crédible. Mais la Foi catholique précise aussi que nulle âme ne se perdra éternellement sans faire le choix de s’endurcir dans le mal, chaque personne ayant une conscience morale (Romains 2, 14-16).
L’élan de l’évangélisation, qui est un devoir pour tous chrétiens, doit donc se fonder davantage sur la charité et la sainte impatience qui poussent l’évangélisateur à être un vecteur dès ici-bas du salut en Jésus-Christ pour tout homme de bonne volonté, selon les vues et l’heure de Dieu et selon les opportunités historiques, salut qui est par ailleurs source de paix et de joie, plutôt que sur l’angoissante et erronée conviction que les hommes non baptisés et non catholiques seraient automatiquement condamnés à l’Enfer éternel.
Au demeurant, je suis convaincu que les islams actuels contiennent en eux-mêmes les germes de leur future auto-destruction. Mais l’islamophobie est pour un chrétien, et d'ailleurs pour tout non musulman, aussi bien une erreur et une faute qu’une ineptie. Car loin d’accélérer le déclin et l’autodestruction des islams orthodoxes (inéluctables à mes yeux à l’avenir, grâce entre autres à l’éducation et aux moyens de communication modernes), le fait de nourrir des sentiments de grande méfiance et d’hostilité à l'égard en bloc des musulmans, va freiner ce processus d’auto-destruction, en poussant les musulmans à redoubler de sentiments et de passions mauvaises envers les non musulmans (eux qui du reste sont de plus en plus nombreux à être critiques vis-à-vis du dogme islamique), et à se replier sur leur culture et leur communauté, dans une sorte de cercle vicieux et infernal, où l’autochtone et le migrant se sentiront chacun victime de la haine et de l’hostilité de l’autre, et se sentiront légitimés à réagir chacun de son côté par une escalade de violences.
Or, je pense que la seule façon de désamorcer ce que l’on pourrait qualifier objectivement de « paranoïa » collective des musulmans envers les non-musulmans, qui est favorisée jusque dans les Textes sacrés de la foi islamique, notamment envers les chrétiens et les juifs (soupçonnés de s’allier contre eux dans la duplicité et l’impiété, par jalousie et par haine secrète du vrai Dieu, Allah), est de leur témoigner en tant que chrétiens, par nos paroles et nos actes, de l’amour gratuit du Christ Jésus pour chacun d'entre eux.
Il suffit du reste d’observer les comportements et réactions disproportionnées et islamophobes des proches de l’abbé Pagès sur les forums de gloria.tv pour comprendre que les fruits de son apostolat sont à double tranchant. Son apostolat islamophobe, bien que pointant quelques vérités importantes sur les erreurs de la foi islamique, semble nourrir aussi de mauvaises passions dans les âmes, en fait d’obsessions, de peurs et de jugements sommaires ad personam. Ce n’est pas par hasard d’ailleurs si la très grande majorité de ceux qui adhèrent à son discours sur l’islam sont farouchement opposés au dernier Concile universel de l’Eglise.
Pour finir, je dirai donc que, en plus d'être une faute et une ineptie, l’islamophobie est pour un catholique une perte précieuse d’énergie qui obnubile l'âme, la tient dans les chaînes de la peur et de l’obsession (où le démon n’est jamais très loin), et l'empêche d’écouter loyalement la voix de l’Eglise. Je citerai encore en conclusion l’allocution du Bx Jean-Paul II en guise d’antivirus ou d’antidote, datée de 1998, elle qui dessine les contours de la juste attitude catholique quant à l’islam et aux musulmans, entre autres traditions et croyants :
Audience générale de JEAN-PAUL II datée du 9 Septembre 1998 :
"[...] Précisément en vertu de la présence et de l'action de l'Esprit, les éléments de bien à l'intérieur des diverses religions disposent mystérieusement les cœurs à accueillir la révélation plénière de Dieu en Jésus-Christ.
4. Pour les raisons rappelées ici, l'attitude de l'Eglise et de chaque chrétien à l'égard des autres religions est caractérisée par un respect sincère, une profonde sympathie et, également, lorsque cela est possible et opportun, par une collaboration cordiale. Cela ne signifie pas que l'on oublie que Jésus-Christ est l'unique Médiateur et Sauveur du genre humain; ni même ralentir l'action missionnaire, à laquelle nous sommes tenus en obéissance au commandement du Seigneur ressuscité: «Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit»(Mt 28, 19). L'attitude de respect et de dialogue, constitue plutôt une reconnaissance des «semences du Verbe» et des «gémissements de l'Esprit».C'est pourquoi, loin de s'opposer à l'annonce de l'Evangile, elle la prépare,dans l'attente des temps prêts à la miséricorde du Seigneur. «A travers le dialogue, nous faisons en sorte que Dieu soit présent parmi nous: car tandis que nous nous ouvrons l'un l'autre dans le dialogue, nous nous ouvrons également à Dieu» (Discours aux membres des autres religions, Madras, 5 février 1986, n. 4: Insegnamenti IX/1, 1986, pp. 322 sq.).
Que l'Esprit de vérité et d'amour, au seuil du troisième millénaire désormais proche, nous guide sur les voies de l'annonce de Jésus-Christ et du dialogue de paix et de fraternité avec les fidèles de toutes les religions!".
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* Notes
(1) S’agissant de mon expression « gauchistes maçonnisés », je faisais évidemment allusion à l’un des principaux organisateurs de ces Assises islamophobes de 2010, à savoir l’ ex- syndicaliste trotskyste Pierre Cassen du site islamophobe « Riposte laïque », et à sa compagne Christine Tasin, dont les idées sont proches de la Franc-Maçonnerie, notamment quant à la laïcité, et dont les livres sont relayés par le mouvement juif paramaçonnique et inconditionnellement pro-israélien le B’nai B’rith. A cet égard, j’ai de très bonnes raisons de penser (en m’appuyant sur un témoignage très fiable) que l’abbé Pagès est malgré lui un des nombreux pions du choc, lourd de menaces terrifiantes pour l’avenir, entre civilisations ou nations islamiques et historiquement chrétiennes, lequel choc est favorisé et instrumentalisé par des lobbys mondialistes occidentaux, de nature militaro-industriel, soutenant inconditionnellement les choix stratégiques d’Israël.
(2) Bienheureux John-Henry Newman, "Apologia pro vita sua", 1864 :
"[...] Et maintenant, après l'avoir ainsi décrit, je professe ma soumission absolue au droit que réclame l'Eglise catholique. Je crois tout le dogme révélé comme enseigné par les apôtres, confié par eux à l'Eglise, et imposé par l'Eglise à moi-même. Je le prends tel qu'il est infailliblement interprété par l'autorité à laquelle il a été confié, et (implicitement) tel qu'il sera interprété de nouveau par cette même autorité, jusqu'à la fin des temps. De plus, je me soumets aux traditions de l'Eglise universellement reçues, dans lesquelles se trouve la matière des nouvelles définitions dogmatiques qui sont faites de temps à autre, et qui sont à toutes les époques la façon de présenter et d'expliquer le dogme catholique déjà défini. Je me soumets également à ces autres décisions du Saint-Siège, théologiques ou non, transmises par les organes qu'il a lui-même désigné, décisions qui ont le droit de se présenter à moi en demandant à être reconnues et obéies, même si j'écarte la question de leur infaillibilité et qu'elles se présentent à des titres très modestes à mon assentiment(...)Telle est la profession de foi que je fais ex animo, à la fois pour moi, et, autant que je sache, au nom de l'ensemble des catholiques."