France Fidele
1773

Le paysan persécuté

Note de France Fidèle : cette petite étude rédigée par Mlle Luce Quenette dans les années 50 n'a pas pris une ride, c'est pourquoi il nous a semblé opportun de la publier pour que nos amis paysans ne se laissent pas entrainer dans les impasses actuelles de la technocratie révolutionnaire.

On vu lire dans cet article de Luce Quenette des horreurs qui appellent la vengeance de Dieu. On les subit sans le savoir, on les ignore dans les villes. Mais plus encore – les lisant, on ne les comprendra pas. Je public quand même. « Qui aures habent… »

J. M.


Le printemps tardif et précieux sort des gelées et des grands vents. La lune rousse qui « a mordu de la tête » sera moins méchante de la queue. L’herbe, retenue jusqu’ici par le froid, foisonne, épaisse, drue, piquée de jaunes pissenlits, de pâquerettes et de ces renoncules inutiles et charmantes qu’on appelle boutons d’or. Dans nos montagnes, une timide verdure tremble sur les buissons, mais si les grands arbres n’ont pas encore déplié leurs jeunes feuilles, un rose mauve, un rouge bourgeonnement n’attend qu’une journée de soleil, et, quand paraîtront ces lignes, leur « chevelure mouvante » jettera son ombrage. L’eau court partout, le blé « se hausse en tuyaux verdissants », la terre nouvellement travaillée est toute fraîche et meuble.

Chez nous, pas d’engrais chimiques ; nos cerisiers, moins précoces qu’en plaine gardent leurs fleurs pour la semaine prochaine – mais l’aubépine a blanchi la haie ce matin, les cognassiers du Japon sont pourpres de corolles innombrables, et les oiseaux que nous avons nourris par la froidure : merles, mésanges, pinsons, sittelles, troglodytes, rouges-gorges, queues-rousses, petits pies, songent aux nids et chantent dès cinq heures du matin. Aujourd’hui, le troupeau est aux champs pour la première fois.

Ac neque jam stabulis gaudet pecus
nos vaches ne sont plus contentes à l’étable.


Je vois dans son champ notre jeune voisin Adrien avec sa petite Agnès, quatre ans ; il taille la haie, Agnès babille, le bon cheval au pré « ricane » son maître, comme on dit chez nous. Nous allons visiter l’allée de sapins que nous avons plantée il y a trois ans ; l’ombre aimable des jeunes arbres s’est allongée et la pointe vert clair bourgeonne, si tendre qu’un roitelet peut la briser. Les collines rondes commencent leur fête, la forêt tressaille de renouveau ; pour qui aime les arbres, le chant du vent dans les branches pleines de sève n’est plus celui de l’hiver…

Ce tableau que j’ai là sous les yeux ce printemps de cet an 1969, c’est le trésor incommensurable du paysan. Derrière les collines à l’horizon, je sais que surgit, poisonne et bouillonne la grande ville remparée d’H.L.M., pourrie de gaz d’échappement.

De cette ville, sur ce trésor, l’assaut de destruction est entrepris. Il a nom technocratie, restructuration, planning, plan Mansholt, traitements chimiques, mutation, referendum, trahison de l’âme et du corps, il a nom hélas « action catholique », hérésie, nouveau catéchisme qui corrompt nos jeunes et les pousse à mépriser leurs pères, et jusqu’au titre de paysan. Je ne vais pas faire ici une étude technique, économique des revendications justifiées de la paysannerie, ni une critique directe, économique du ravage Mansholt. « Agriculture et Vie », « Entre Paysans », et l’excellent petit bulletin de M. Monin, 22, rue Cl. Violet, Lyon 8e, et le Cercle d’Information Agricole 416, rue Saint-Honoré, Paris, s’en chargent excellemment.

*
Mon but à moi, aujourd’hui, est « métaphysique ». Il est très haut, mais il est très simple ; Je veux aller aux principes, au delà du physique, et trouver les conclusions morales qui conviennent, et qu’inspirent la raison et le christianisme sur la condition humaine surnaturelle du paysan dans les conjonctures présentes. Je veux prouver que, s’il n’accepte pas ces conclusions morales, c’en est fait de lui. Je pense que cette méditation ne sera pas indifférente aux lecteurs qui ne sont pas paysans – car si la paysannerie disparaît, comme elle en est menacée, la vie de tout homme en sera mutilée, atrophiée, – l’élan spirituel de chacun, amoindri, – et nous verrons enfin que la condition actuelle du paysan est analogiquement la condition de la famille et la condition de l’école chrétienne.

D’où trois points :

1) les paysans sont fort tentés de méconnaître l’immense trésor de leur vraie vie campagnarde ;
2) la persécution qui les opprime n’est pas tant économique que morale, – elle atteint plus gravement leur âme que leur budget ;
3) et enfin le salut, le seul, est dans l’acceptation organisée, intelligente, c’est-à-dire chrétienne et donc pratique, de l’état de persécutés.

Comme le paysan, la famille et l’école doivent savoir durer dans les souffrances, les embarras et donc la pauvreté qu’engendre normalement la persécution.
Voyons en pleine réalité de vie de campagne, notre premier point : les paysans méconnaissent leur incommensurable trésor, ils portent en général, sur ce trésor, un jugement de valeur erroné.

« Tous les jours, écrit M. Monin, sur les routes, nous rencontrons des « événements » qui nous portent à réfléchir. Nous suivions un jour une ambulance dans laquelle se trouvait un malade, un homme au visage décomposé et qui pouvait peut-être lire notre panneau : « Opération Santé – Du sol à la Table sans produit chimique ». Etait-il capable de faire le rapprochement entre sa maladie et ce qu’il avait mangé ? Ce n’est pas certain. A cet instant, nous passions près d’un champ de blé sur lequel un agriculteur épandait une forte dose d’azote ammoniacal en attendant sans doute de désherber avec un produit tête de mort. »
… j’enchaîne avec ma propre expérience. Notre région est la région élue des cerises. Un peu plus bas que notre montagne, à perte de vue, ces jours-ci, les blancs bouquets éclatent en procession charmante, dans tous les champs car presque tout le terrain est converti en vergers à cerises. Mais, tandis que roule la voiture, je vois que les branches qui portent les fleurs sont d’un jaune soufre inquiétant. Traités ! et traités à la fleur – puis retraités Pechiney-Progil au fruit formé – au fruit rosé – enfin au fruit presque mûr. Et les belles cerises du mois de juin porteront l’intoxication aux citadins lyonnais et, car nous exportons, aux Parisiens et aux Anglais.
Inutile de vous dire que de celles-là, on ne mangera pas à la Péraudière.
J’ai reçu, il y a quelques mois, une lettre d’une mère douloureuse : son fils, paysan de 43 ans, robuste et gai, ressent brusquement de terribles maux de tête. Le médecin ne considérant que ces douleurs violentes, sans chercher leur cause, fait une piqûre de morphine. Aussitôt vomissements, démangeaisons. Soudain coma de trois heures.

Le médecin diagnostique enfin une intoxication. Mais sans rechercher sa nature. Le malheureux, encore conscient, ne peut plus ouvrir les yeux, et cependant, tous les examens qu’on lui fait subir sont négatifs. Aucune enquête sur les circonstances qui ont précédé cet étrange état ! Gardénal, respiration artificielle – encore coma… Le médecin ignore toujours la cause et ne la recherche pas.

C’est alors que ces braves gens revenus chez eux frappés de la soudaineté de leur malheur, s’interrogent. Qu’a-t-il fait ces jours derniers ? Sa femme réfléchit, répond : « Lundi… il a traité – mardi, il a traité – mercredi, il a nettoyé son appareil. » Il est en effet chef d’un verger de 25 ha ; jusqu’à ces jours, l’intoxication était latente. La lumière éclate ! Les travaux agricoles étaient notés et le nom des produits employés – sur la boîte retrouvée, le « malaise » était prévu – avec recommandation de ne pas employer de morphine ; LE FABRICANT S’ATTENDAIT DONC A DES DOULEURS FULGURANTES. On court à l’hôpital, on obtient que le malade soit transporté au centre antipoison. Il est mourant ; mais la mère et la femme espèrent, puisqu’elles ont donné toutes les précisions. Hélas, l’assassinat s’accomplit : à l’insu de la famille, on refait tous les examens pour arriver à la conclusion que c’était bien le produit du verger qui a empoisonné. Le contrepoison est administré 20 heures plus tard et l’homme meurt sans avoir repris connaissance.

Le témoignage de la famille avait été d’abord négligé – puis méprisé –. Et les dossiers médicaux sans cesse recommencés « n’avaient pas suivi ». Ô Molière : le malheureux était mort « dans les règles ».
Quant aux fruits ainsi traités et sur un sol saturé de poison mortel : où portaient-ils la lente destruction d’organismes d’enfants ? « Vois ces belles cerises, cette belle pomme pour ton goûter ! » La mort court !

*
Ce récit est aussi précieux qu’horrible, car on y voit associées la violation systématique de la nature à la « suffisance » de la science. Mais comprenons surtout que cet excellent homme et les siens n’avaient pas le sentiment de ce danger-là. En toute loyauté et conscience, ils croyaient que, moyennant certaines précautions « écrites sur la boîtes », on peut impunément préserver la nourriture de l’homme par le poison. Et comme me dit la mère affligée Nous n’avons jamais pensé aux consommateurs. Ceux qui imposaient à mon fils ces traitements d’arbres fruitiers nous semblaient des gens bien plus instruits que nous, auxquels nous faisions confiance en toute tranquillité, tandis qu’eux-mêmes faisaient confiance aux laboratoires « de chimie agricole ». Et cependant, ajoute cette femme loyale, moi, instinctivement, je prenais soin de manger des fruits non traités – sans penser plus loin ; mais pour les légumes, ajoute-t-elle, l’habitude est invétérée dans tous nos jardins à cause de la multitude des vers.
D’où l’escalade des empoisonnements, les vers et les insectes s’habituant par la succession rapide de leurs générations à ce qui intoxique mammifères et hommes incomparablement plus lents à immuniser leurs descendants ; et l’intoxication supplémentaire de l’homme qui mange les mammifères. Cet homme, continuellement victime, ne voit pas ce cercle infernal – il ne l’aperçoit que devant le cadavre de l’être aimé. Ignorance de ce grand principe métaphysique de la valeur d’un ordre naturel, et donc de ce grand précepte moral du respect de la nature, respect voulant dire mesure dans l’intervention, mesure dans l’usage de la matière. Nous avons vu qu’il s’agit d’une discrétion dépendant de la grande vertu cardinale de Tempérance ([1]).

Poursuivons notre analyse :

« Messieurs les vétérinaires de Digoin, étant donné l’ampleur de l’épidémie actuelle de toxicose, conseillent à leurs clients d’amener les veaux dès les premiers symptômes, à toute heure du jour et de la nuit, place de l’Hôtel de Ville à Digoin. » C’est éloquent ! Alerte de jour et de nuit. Spectacle macabre. Ces messieurs n’abondent pas de courir de ferme en ferme. Ce sont les petits veaux malades qu’on amènera sur la place de l’Hôtel de Ville.
Mais aussi, depuis plus de quinze ans, les savants et les marchands font désinfecter les étables à la DDT ! Et puis, soudain, à l’exportation, on découvre « TROP DE DDT dans nos fromages et notre beurre, d’où cette année, circulaire du ministère : utiliser autre chose comme désinfectant des écuries. Or, depuis longtemps, la sagesse des prudents enseignait que la DDT dans les étables était un poison pour le sang des animaux. La raison eût suffi. Le ministère, par pur motif commercial, en revient à la chaux séculaire !
« Sans doute, dans l’année qui vient, conseillera-t-on de vacciner à titre préventif, davantage encore les vaches » et même, devant la presse du fléau, va-t-on continuer de vacciner le même jour des vaches pleines, pour la fièvre aphteuse et pour la tuberculose. Poison injecté dans le sang des veaux… qu’il faudra, « aux premiers symptômes », transporter de nuit comme de jour aux pieds de MM « les Vétos » mal réveillés, place de l’Hôtel de Ville.
Il s’agit bien de drames : au printemps 1968, un éleveur perd dix-neuf veaux de suite et il se suicide ; son voisin accourt et meurt, devant le cadavre, d’une crise cardiaque. Ce printemps 1969, un autre éleveur voit mourir (étable sélectionnée !) 21 veaux sur 25.
– Nous reparlerons de l’épouvantable épidémie de suicides dans les campagnes. Il y a du désespoir dans la vie actuelle paysanne. C’est que le paysan juge sa vie du point de vue même de ses ennemis les plus acharnés, – il porte sur son existence un regard faussé par ces techniciens qui veulent sa disparition. Par une aberration à laquelle on l’a lentement poussé, se croyant adversaire économique de ses persécuteurs, il se fait avec eux son propre bourreau.

Les exemples que nous venons de donner le prouvent. Le paysan ne sait plus l’essence de la vie paysanne.

*
Qu’est-ce que la vie paysanne ? C’est la plus humaine !
Depuis la plus vieille antiquité, c’est ainsi qu’elle a été définie, appréciée et considérée. Ce n’est pas une petite chose à négliger comme un rêve, cette louange poétique du laboureur – réitérée au cours des siècles. Les poètes voient clair ! Platon n’attribue à Socrate, au matin de sa mort, qu’un repentir, celui de ne pas s’être abandonné avec plus d’obéissance à l’inspiration poétique, qui lorsqu’elle est pure, non mêlée à l’enivrement des passions et du vin, exprime la voix même de Dieu, dit-il. En effet, un thème éternel de poésie est le chant d’une vérité profonde racinée dans la nature humaine.
Or, que dit ce thème éternel de poésie sur la vie des champs ? « Bienheureux les paysans, s’ils connaissaient leur bonheur. » Virgile écrit dans un temps de décadence et de désaffectation de la vie rurale. Les Romains, comme Mansholt et à la dimension de leur Empire, pensaient alors en techniciens et préféraient restructurer la vie paysanne sur des bases industrielles, – d’où l’exode du paysan à l’Urbs corruptrice, le remembrement des petites propriétés, l’industrialisation des grandes exploitations par les machines de ce temps-là qui étaient les esclaves, comme chez nous, à cela près que les esclaves étaient commandés directement par un homme et que nos esclaves à nous le sont de la machine, selon la maxime à la fois stupide et profonde du ministre Pisani, à savoir que les structures sont modifiées par l’ordre de grandeur des machines, – lisons : l’ordre paysan est un ordre de machines.
48:135

L’Auguste romain voulut enrayer cette désaffection des champs, car il était « effrayé du discrédit qui frappait l’agriculture dans cette Italie dont elle avait fait la force et la grandeur » (Virgile - Le Chatellier). Et Virgile a pu dire qu’en écrivant ses Géorgiques, il exécutait un ordre. « La nature que Virgile aime par dessus tout, c’est la nature cultivée. Toutes ses sympathies vont au laboureur. Ce n’est pas un riche propriétaire faisant cultiver, pour leur rapport, de vastes domaines, – c’est un modeste paysan qui demande à ses champs son aisance et la subsistance de sa famille. » C’est l’exploitation familiale.
Et ces biens si précieux qui rend « fortunés » les hommes des champs, qui sont-ils au jugement de ce païen pieux, au jugement de l’empereur qui l’emploie à réveiller l’amour de la campagne au cœur des Romains ?

C’est, dit-il, d’abord, l’éloignement des luttes fratricides des guerres et des magnificences du monde ; l’assurance d’une nourriture facilement trouvée ;
– le repos dans la sécurité,
– une vie franche et libre,
– la variété riante des ressources,
– le calme des vastes étendues,
– la gaieté des eaux vives,
– le mugissement paisible des troupeaux,
– les doux sommeils sous les arbres,
– une jeunesse patiente habituée à la frugalité,
– la piété, la dignité des parents,
– et ce qui reste de justice sur la terre.

Je me souviens qu’un jeune homme ingénieur, chargé par la prévoyance agricole du Rhône de rédiger un rapport sur les cultures du département, débutait élégamment ainsi :

« Nous ne dirons plus avec Virgile : « O fortunatos nimium sua si bona norint agricolas. » « Ô trop heureux paysans s’ils connaissaient leur bonheur. »

Pourquoi ne le dirions-nous plus ?

Que s’est-il donc passé pour que ces biens humains ne soient plus ceux du paysan ? Depuis Virgile, il s’est passé le Christianisme.
Mais c’est le Christianisme qui a sanctifié le paysan (le paganus), et sanctifié les précieux privilèges de sa vie campagnarde, qui a remplacé les idoles des bois et des champs par les croix, les Pietà, les Vierges de Lourdes, les Anges, les saints patrons. Ce sont les moines qui ont appris aux paysans à défricher, bêcher, irriguer la terre, élever le bétail et surtout livrer à Dieu ces nobles activités. C’est la religion qui, des antiques Robigalia fit les pieuses Rogations. C’est la religion qui a structuré définitivement la vie rurale de nos villages et y a élevé ces bons clochers paternels d’où s’envolent l’Angelus, les baptêmes, les saintes fêtes et le glas des morts. Et c’est après Jésus-Christ, après 2 000 ans de christianisme que nous prenons l’air dédaigneux à l’énumération des biens simples et purs du païen paysan Virgile !

Sainte Germaine, sainte Jeanne d’Arc, saint Vincent de Paul, sainte Benoîte du Laus, sainte Bernadette, le paysan Jean-Marie Vianney, le bienheureux Théophane Vénard, Mélanie et Maximin, François, Lucie, Jacinthe et tant et tant, saint Joseph Sarto Pie X, saint Jean Bosco nous crieraient que nous sommes des orgueilleux et des imbéciles parce que dans cette vie la plus humaine, la plus simple, où le pieux païen trouvait la jeunesse patiente et frugale, la Sainte Vierge et les Anges ont trouvé et fait une jeunesse pure, sublime, sainte, qu’ils ont honorée de leurs bienheureuses apparitions – car c’est par une prédilection à rendre jaloux les habitants des villes que les habitants du Ciel ont choisi la plupart du temps les champs, les grottes, les fontaines, les bêlements des brebis, les bords des ruisseaux et les plus pauvres propriétaires de ces biens pour manifester leur beauté à la Terre.

D’où vient donc ce mépris, cette désaffection, ce dégoût pour une vie privilégiée, favorisée des Cieux et privilégiée dès le Commencement, puisque Dieu mit nos premiers Parents dans un jardin bien arrosé, avec la charge aimable et légère de le cultiver et d’y nommer les animaux, comme si l’innocence originelle ne pouvait mieux s’épanouir que dans un Paradis de campagne, entre les labours et les pâturages.
Bienheureux le paysan, s’il connaissait son bonheur !
« S’il connaissait »… déjà Virgile voyait ces biens méconnus et rejetés. Mais avec la Révolution, le paysan a perdu la notion essentielle de sa condition.

Il a mis longtemps, parce que sa foi et ses longues habitudes le gardaient, mais enfin, lui le dernier, en même temps que le prêtre, a méprisé sa vocation et ses biens propres parce que depuis deux cents ans on lui enseigne qu’il n’est qu’un Bien pour tous : la productivité, c’est-à-dire l’argent, – et on lui a montré que sous ce rapport, il n’était pas l’égal des autres, « des prolétaires », des industrialisés, qu’il leur était inférieur. On lui a fait croire à lui, le vivant auxiliaire du cycle saisonnier, que le robot en quelque sorte « linéaire » de la machine était dans un progrès indéfini – dans un standard supérieur ; qui œuvrait selon le sens de l’histoire, tandis que lui, retardataire encrassé, alourdissait la marche sociale du poids de ses traditions et de ses structures périmées. Il en a conclu qu’on le méprisait et qu’on voulait sa disparition, ce qui est vrai – mais il en a conclu aussi que ses adversaires avaient raison de dénoncer son immobilisme – et qu’il devait sans doute les haïr, mais les imiter, entrer de force dans leur course, revendiquer pour lui autant d’argent qu’ils en gagnaient et revendiquer, autant qu’il se peut dans ses champs, le cadre machine, le cadre collectiviste, le cadre industriel qui convient à la marche du monde.

Sa jeunesse a eu honte de sa patience et de sa frugalité – et son âge mûr, oubliant les trésors de sa condition que rien ne peut payer, a réclamé une égalité lamentable et « l’abolition de ses privilèges », – il s’est méconnu, comme les techniciens le méconnaissent, – car on ne peut imaginer à quel point un ingénieur dans le vent peut mépriser la paysannerie traditionnelle. J’ai assisté dernièrement, dans un coin de salon, à un réquisitoire effrayant et que je qualifierais de naïf par sa méconnaissance absolue de la race paysanne.
Ce monsieur s’exprimait ainsi : « Les paysans sont stupides. Ils ne voient pas leur intérêt, il tiennent à leur vie étroite et séparée, ils continuent à gratter la terre sans voir l’évolution du monde. Ceux qui s’y mettent s’enrichissent monstrueusement, tel les producteurs de blé de la Beauce qui grèvent le gouvernement par leur surproduction, parce qu’on n’ose pas encore les supprimer, mais la plupart ne veulent pas comprendre que seule la spécialisation industrielle les sauvera et surtout la diminution de leur nombre. J’ai un fils ingénieur agriculteur, il va se spécialiser dans le radis et dans l’endive. Au moyen de bacs, de godets, et d’engrais ultra-productifs, avec circulation d’eau chaude, il produira automatiquement, sans les toucher pour ainsi dire, des radis toute l’année ; nous ne connaîtrons ni les intempéries, tout est couvert, ni le sol, qui est rapporté. Nous nous sommes inquiétés cependant de quelques trucs inconnus de nos concurrents, car la lutte deviendra dure, dès que les radis envahiront le marché par tonnes. Mais nous avons trois ans d’avance – et dans trois ans, nous aurons gagné, non seulement de quoi changer notre spécialité et toute notre organisation, mais le nombre de millions qu’il faut pour agrandir notre affaire. Naturellement, les radis paysans, obtenus en jardin à grand renfort de pioche et d’arrosage, auront disparu des marchés.

Qui les empêche de faire comme nous ? J’en
connais qui n’ont pas voulu d’une fabrique de conserves américaine dans leur région fruitière. Elle s’est établie de force et leur achète tous leurs fruits pourvu qu’ils soient beaux et sains (d’apparence !). Tout va se faire en industrie et on les forcera à gagner des millions. – C’est comme les parcs avicoles, ils ne veulent pas comprendre qu’on « gagne sa vie » à l’exportation seulement à partir de 10000 têtes, ce qui signifie disparition des petites fermes ridicules, uniformisation des procédés, produits chimiques d’engraissement, expéditions collectives. Le paysan est une charge insupportable pour l’État, chaque région devrait être spécialisée et vérifiée par des experts qualifiés et non abandonnée à l’ingénuité anti-scientifique d’une population fossile. »

Et une généreuse indignation colorait le visage intelligent de cet homme jeune, chef d’usine, bon patron, bourré de savoir-faire et d’initiatives. Pas un instant l’idée que la race paysanne dans sa vie normale était réserve de vertus, d’endurance, de sagesse, de persévérance, de piété solide, réserve de soldats et de héros, de religieux, de missionnaires et de familles chrétiennes à la fois unies, originales et fortes, pas un instant cette idée ne lui apparut ; et par conséquent lui semblait toute simple et opportune la suppression absolue de cette source d’énergie morale, de prière, de retraite, de patience, de poésie, d’art, de pauvreté chrétienne dans la richesse incommensurable des biens que nous avons dits.
Et je connais tant de jeunes paysans qui, au souffle de cette éloquence barbare, auraient rougi de honte en pensant à la ferme, aux bêtes, aux parents, au labour ou à la fenaison de demain.
Si bona sua norint :
« S’ils connaissaient leurs biens. »

Ils ne les connaissent plus – la majorité ne les connaît plus et leur colère ne vient pas de ce qu’on leur a enlevé les biens virgiliens et chrétiens de la vie de campagne, mais de ce qu’on ne leur donne pas l’égalité d’argent et la facilité de confort, de congé, d’insouciance des ouvriers d’usine. Ils se font esclaves par les machines, les emprunts, la destruction des structures, les poisons et ils sont furieux d’être moins dans le pays que les esclaves de l’industrie.
Ils veulent bien résister au plan Mansholt, ils font bien la grève, et mettent leur tracteur en travers des routes bretonnes, mais pour le gain seul, non pour la VALEUR inestimable de leurs mœurs familiales et de leur foi chrétienne…
Sans doute en effet, il y a toujours une farouche révolte latente ou déclarée dans le cœur paysan, mais il n’y a plus, la clairvoyance du Chouan, la connaissance des principes ; qui font vivre et pour lesquels il est convenable de mourir… Cette clairvoyance éteinte, leur révolte apparaît aux puissants du monde ce qu’elle est devenue, instinctive et non désarmée, aveugle, héréditaire, presque animale.
S’ils en restent là, ils sont perdus ! Retrouver cette clairvoyance paysanne qui ne s’en laisse pas conter, qui connaît la valeur de ses constitutions et voit la trahison dans ce qu’on lui propose, c’est la première démarche vers le salut.

*
Les paysans sont donc persécutés : ils le sont par toute la barbarie économique de notre temps, laquelle les reclasse, les chasse, entreprend de les dégoûter, de les ruiner, de les pousser aux emprunts, de les grever par ce que j’appellerai « la foi en l’engrais chimique », de leur ôter la propriété, car enfin ils sont les serfs de leurs dettes et donc de l’État, mais à la différence des anciens serfs, ils ne sont pas attachés au sol mais continuellement menacés et tentés de déracinement.

Cependant, ces maux si universels et si puissants sont encore extérieurs. La vraie persécution est intérieure » : on leur fait oublier et mépriser les vraies valeurs de leur état de vie. Et la première de ces valeurs, c’est que leur vocation, donc leur réussite, a pour loi le respect de la nature, c’est-à-dire le respect de l’œuvre divine. Ils ont la garde du « sol de la Patrie ».
« Le sol, c’est la Patrie. »

« Cette phrase est inscrite au fronton d’un entrepôt de produits agricoles. Lorsque l’on sait comment le sol est empoisonné par tout ce qu’il reçoit d’engrais et de traitements chimiques, il ne faut pas s’étonner que « la Patrie soit malade » ! (Bulletin de Jacques Monin, avril 1969.) C’est le bon sens même.
Si le paysan gardait la crainte et le respect de l’ordre créé, non seulement il aurait une répugnance naturelle devant l’altération systématique du terrain par l’ingénieur chimiste étranger à la vie rurale, mais encore, poussé par le sentiment très paysan que la vie du sol, des plantes, de l’air a en elle de quoi se défendre de la mort, il prendrait un immense intérêt et placerait ses espoirs dans l’étude de ceux qui lui montrent les bactéries vivantes de la glèbe, tuées par l’apport brutal de la potasse ou du super-phosphate, il prendrait horreur de ces nourritures inertes, de ces désherbants néfastes au bétail, de ces engraissements artificiels, de ces piqûres, de ces vaccins dont l’impuissance se révèle par leur multiplication même.
Sans doute il y a dans cette voie – à savoir la culture biologique – un certain secours pour le paysan persécuté. Arrêter les dépenses insensées d’engrais, redonner rationnellement la santé au troupeau, préserver des poisons lui-même et sa famille, viser à la qualité, déconsidérer par une propagande intelligente les ventes de fruits traités, beaux à voir et poisons à manger, c’est échapper certainement en partie à la persécution systématique dirigée contre lui. – Mais là n’est pas l’essentiel de notre propos.

Car la persécution ne désarmera pas. Le paysan avec ses biens naturels et spirituels est un ennemi dont la Révolution doit se débarrasser. L’ingénieur-patron qui maudissait la bêtise paysanne, parlait selon son idéal étroit de productivité, en allié inconscient de la Révolution. Le petit propriétaire rural, en effet, est le gardien et le mainteneur d’une vie indépendante « franche et libre » que la Révolution ne peut supporter, – car dans cette vie se trouve de quoi résister à la subversion et, à la longue, la ronger et la détruire.
Le communisme hait le paysan et c’est le paysan qui lui donne le plus de mal. Ce qu’ont souffert les paysans en U.R.S.S. est inimaginable. (Voir Roland Gaucher : L’Opposition en U.R.S.S. 1917-1967, Albin Michel). La vie paysanne est tellement liée à la vie chrétienne qu’elle est par elle-même un ferment antirévolutionnaire. La détruire violemment fut une nécessité pour le communisme – et ce n’est pas fini – mais la démoraliser, la ridiculiser, l’industrialiser jusque dans les cœurs, c’est bien plus sûr et bien plus ingénieux.
La défense paysanne existe, les paysans sont en colère, ils sont même parfois redoutables. Le maire d’un village de montagne reçoit les doléances des fermiers et des artisans, les feuilles d’impôt se sont alourdies, pour beaucoup elles sont insupportables. Il les recueille, il s’en va courageusement à la Préfecture, il expose ses griefs. « Ah, lui dit-on, vous n’êtes pas content, n’avez-vous pas compris que le but est de faire disparaître toutes ces petites industries sans productivité, et de simplifier sur si peu d’hectares une population qui serait mieux ailleurs-. » A cette cynique déclaration, notre maire s’indigne : « Je n’ai qu’un mot à dire, leur jette-t-il, et tous les tracteurs bloqueront la nationale. » C’est vrai ! Pour la feuille d’impôt, pour les prix de vente trop bas, ils sont prêts à bousiller quelque chose de l’État, mais nous dirons d’eux ce que Jean Madiran a dit de l’école, « derrière ces remparts de colère, les vrais trésors n’existent plus ». (Itinéraires, supplément au numéro 124 de juin 1968.)

Les paysans sont aveuglément furieux et la réponse de la Préfecture ne les a pas éclairés : ils n’ont pas compris que ce n’est pas tant à leur argent, à leur soi-disant sous-productivité qu’en veut le gouvernement. Car s’il en était ainsi, la contradiction serait trop flagrante : les petites exploitations (dit-on) sont improductives et leur prix de revient trop élevé. Et la surproduction est si monstrueuse qu’il faut, pour maintenir les prix, organiser une gigantesque destruction obligatoire. D’autre part, les statistiques loyales démontrent que la petite culture polyvalente est la plus féconde. C’est contradiction inextricable, surtout si l’on considère le chômage et, la marche (inéluctable !) de l’industrie vers la suppression progressive de la main-d’œuvre par la machine ! Alors ! Supprimer les paysans – « débarrasser le pays » des petites entreprises en les rendant invivables, c’est littéralement et uniquement nourrir la Révolution.
Évidemment, la conclusion s’impose. Il s’agit, en effet, de nourrir, munir, armer la Révolution, tout en la contenant pour « l’ordre » communiste ; donc désarmer, neutraliser l’ennemi naturel de la soviétisation : la famille paysanne, les structures paysannes séculaires. Il s’agit de vider la paysannerie par la lutte même qu’elle entreprend pour sa survivance, de la vider de sa substance, de sa religion, de son amour de la terre, de ce ferment de vertu, d’indépendance, d’union familiale qu’est la vie traditionnelle du laboureur. Et ça marche très bien et c’est presque accompli. Le paysan ne demande plus à vivre en famille chrétienne qui se suffit à elle-même, et produit juste de quoi s’outiller modestement, en adaptant avec un sens inné de la tradition la machine moderne à ses mœurs originales. Cette mesure, cette modération, ce haussement d’épaules, cette rigolade rentrée, sournoise et avisée contre le monsieur de la ville, l’expert inexpérimenté qui veut perturber une vie sage et profonde, – cette réaction tenace a presque disparu.

Minée par l’impiété, la cupidité, les airs méprisants, les écoles d’agriculture et hélas ! les maisons familiales prostituées, la jeunesse paysanne n’a plus de trésor à défendre. Derrière le rempart de son impuissante colère, il n’y a plus rien, elle revendique non « un état de vie » qui sauvait les âmes et conservait la Patrie, mais un standard dit élevé, celui de l’H.L.M. dont le dernier mot est la machine à laver la vaisselle pour tous.
Symboles, preuves que l’ennemi est dans la place, ces râteaux de télévision qui surgissent de plus en plus nombreux près des cheminées de nos fermes, ce transistor infernal que la bergère emporte au pré, emporte à l’étable et qui mêle ses gouaperies au petit bruit du lait mousseux fusant dans le seau.
Résumons : le paysan est persécuté dans son âme, on lui prend son trésor au foyer même, on le lui prend à l’église d’où les chants ancestraux ne s’élèvent plus, d’où on excite en lui des appétits étrangers à sa vocation.
Un curé décrète que le « Mois de Marie » se fera dans telle ferme de tel « lieu dit »… et qu’on s’y réunisse. « Mois de Marie » : quelque écho dans les cœurs. On fait effort, on s’assemble, voici le Curé et voici le « mois de Marie » : « Je vous ai réunis pour vous expliquer qu’il y a encore 17 fermes de trop dans le canton ! »
Conclusion : le salut de la paysannerie, – et donc si l’on a bien compris quelle sauvegarde contre la Révolution représente cette vie toute disposée à l’ordre et à la vertu chrétienne, le salut du pays entier, – a pour point de départ cette clairvoyance sur la vraie persécution intérieure, décidée, inexpiable, je dirai fondamentale et dont la nocivité principale est de n’être pas reconnue comme telle.
Je veux dire encore comment, un jour d’automne 1968, se révéla au cœur d’un jeune paysan cette persécution impitoyable.

Je le revois encore, debout dans l’embrasure de notre porte, il prenait congé, c’était un jeudi. Il admira dans la cour un « Cageot » de belles poires qu’un agriculteur biologique venait de nous apporter. Tout à coup, comme frappé d’un souvenir, son visage change, et je ne saurais traduire l’émotion puissante de ses simples paroles :
« Celles-là, dit-il (les poires), n’auront pas le fuel : Il y a quinze jours j’ai vu ce que c’était – j’ai été chez mon beau-frère, dans la vallée du Rhône. C’était le marché. Dans un terrain municipal, près d’une espèce de carrière, j’ai vu des producteurs avec des cageots de poires aussi belles que celles-ci – seulement elles étaient produites à coup de traitements. Il y avait discussion. En face d’eux se tenait l’agent agricole, avec son jet de fuel tout prêt, le tuyau à la main. Je m’approche, j’écoute, il répétait ce que tous savaient bien : que ceux qui livreraient leur marchandise au fuel seraient payés, et un bon prix. Libre à ceux qui refusaient : de les vendre à bas prix, s’ils pouvaient, de les donner, ou de les enfouir dans leurs champs. Par un rapide calcul tous comprenaient que « le fuel, c’était les sous ». Il y avait des femmes avec leurs cabas, qui regardaient de loin. Quand elles virent que le type allait ouvrir le robinet, elle osèrent s’approcher, je vis qu’elles étaient braves et pas bien riches, elles disaient : « On vous les achètera si vous voulez être raisonnables, donnez-les nous pour nos confitures. C’est tellement malheureux de gâter tout ça ! » Elles ouvraient leur cabas et elles tendaient leurs paniers. Monsieur, ils se sont mis à rire et les cageots ont été vidés en tas, et le type a tourné son robinet et le jet puant a balayé les poires et les femmes sont parties, l’air mauvais, la haine au cœur, ce qui se comprend. Pour moi, j’ai parlé à celui qui avait les plus belles poires. J’étais malade de dégoût, je lui ai dit : « Quel dommage, cette mévente, comment allez-vous faire pour trouver des débouchés ? » Il a éclaté de rire et voici ce qu’il m’a répondu : « Mais le débouché, il est tout trouvé, je ne cherche pas la vente, je produis pour le fuel, ma fortune sans fatigue, c’est l’indemnité ! »

« Alors, Monsieur, j’ai compris, on a tué le paysan, lui qui est fait pour nourrir les hommes, on le fait travailler à la destruction de la nourriture, on le paie pour ça et on lui enlève même le plaisir de donner. Je verrai toujours la figure de ces femmes. Monsieur, ils font le paysan cruel. Nous n’étions pas ainsi : les bonnes années, on faisait profiter les pauvres, on appelait les sœurs des petits vieux, ou au moins on rendait à la terre, pour l’an prochain, ce qu’elle avait donné en trop.
« Le soir, je suis allé tout seul à cet affreux dépotoir où croupissait des tonnes de fruits – j’étais attiré – et qu’est-ce que j’ai vu ? des rats gros comme le bras qui grouillaient là-dedans ; ça ne les gênait pas, eux, le fuel, et ils trottaient, portant quels germes de cancer à nos bêtes et à nos enfants.
« J’ai compris, je vous le dis, Monsieur, ce jour-là ; c’est le cœur qu’on nous a volé. »

*
La clairvoyance retrouvée, où est la voie du salut ? Dans la persécution même. « Quand les hommes vous persécuteront, réjouissez-vous, car votre récompense est grande dans les Cieux. »
La solution est chrétienne. C’est la résignation. Le terme et la chose sont honnis. Il faut lutter, non pas se résigner, dit-on. Entendons-nous, DISTINGUONS, COMPRENONS.
Il est juste que les prix des produits agricoles soient ajustés au prix des produits fabriqués. Il est juste que le paysan soit honoré, regardé comme mainteneur essentiel de la Patrie.

La lutte pour cette justice est juste. Elle aurait quelque chance d’aboutir sous un gouvernement de droit divin. Elle n’a nulle chance dans notre soviétisation progressive. Est-ce une raison pour déclarer juste ce qui est injuste ? Non, on peut continuer à s’indigner, mais l’important n’est pas d’obtenir la subvention d’un gouvernement qui poursuit par système la disparition du paysan authentique, l’important est de comprendre qu’il est mortel de poursuivre le profit au prix de l’abandon des vrais biens, donc de l’essence même de la vie paysanne, mais qu’il est possible encore de les sauvegarder dans la PAUVRETÉ, dans le sacrifice, dans l’acceptation sérieuse et intelligente de la persécution. Car la persécution du paysan est inhérente à l’esprit qui nous gouverne – comme la persécution de l’école, comme la persécution de la famille.
Il est impossible d’espérer une justice matérielle là où règne la persécution spirituelle. L’École libre doit renoncer aux subventions des athées si elle veut rester chrétienne. Ce qui doit l’inquiéter, c’est d’être vidée de son essence même, qui est l’éducation chrétienne. Tout le monde le comprend maintenant. C’est plus clair pour l’école que pour la paysannerie : la pire persécution, on le sait, c’est la contestation introduite (je veux dire glorieusement régnante), dans l’école catholique. Eh bien, il en est de même et plus hypocritement s’il se peut au foyer paysan. La question est donc de savoir comment garder l’essentiel trésor que ni les vers ni les voleurs ne prennent, et de le garder dans la persécution même. Or, il est certain que la persécution est permise par Dieu contre la Famille, l’École et la Campagne, pour le bien des élus, qui se sanctifient dans ces institutions naturelles et chrétiennes. Il faut donc croire que, jusqu’au martyre, on peut vivre la vie de famille chrétienne, constituer de pauvres et ferventes écoles et garder un pauvre et fier foyer paysan chrétien. Le tout est de se résigner fièrement à souffrir pour l’amour de ces biens, énumérés par Virgile, transfigurés par Jésus-Christ et enseignés par les Papes.

Actuellement, ceci accepté, nous assurons que cette sauvegarde n’est pas encore impossible. De même qu’une école vit et boucle juste, avec les ressources de la campagne, le dévouement, l’union aux familles, la sagesse de cinquante enfants, de même, je connais des fermiers biologiques contents, malgré les impôts, malgré l’outillage, malgré toutes les persécutions ; des fermiers qui échappent aux emprunts et dont les enfants ne sont ni contestataires ni dégoûtés. Seulement ils se contentent, ils endurent. Et voilà la profession de foi qu’il leur faut apprendre :
« Je ne suis pas malheureux, je renonce au congé payé, à un confort que mes pères n’ont pas connu, j’admets que mes cousins ouvriers aient une 404 ou la 504 et moi une 2 CV, – je ne prendrai jamais la télévision, mes petits n’entendront pas les imbécillités de la radio, je ne transformerai pas tous mes hectares en vergers à cerises, je garderai mes cultures variées qui compensent d’elles-mêmes une mévente possible, mes quelques vaches, mon bon cheval pour les labours délicats – d’où mon fumier animal, d’où mon compost ; – pour le tracteur, je m’arrange avec les voisins à trois ou quatre qui nous aimons bien ; je fais mon petit potager, j’apprends les traitements naturels pour mes fruitiers et mes légumes, j’ai ma petite vigne pour mon vin sans colorant, sans conservant mes céréales, ma prairie ; j’ai une Péraudière pour mon garçon, j’en voudrais une pour ma fille, j’ai ma peine, j’ai ma fatigue continuelle, j’ai ma relative pauvreté, l’insécurité, la menace, la croix, mais je laboure les champs que labourait mon Père ! – Je suis prêt à bien d’autres souffrances, je crois que je n’ai peur de rien, que de perdre cet horizon, que de perdre ma foi, si le Curé continue ses folies – mais je rapprends mon catéchisme, et je l’apprends à mes enfants…

J’attends que la tourmente passe, et quand le Cœur de la Sainte Vierge triomphera, je compte bien que mon garçon et moi nous penserons justement à planter nos pommes de terre, ou à sarcler nos fraises, certainement à dire ensemble notre chapelet devant la Vierge de Lourdes que la grand’mère a rapportée de pèlerinage, il y a trente ans. Et si le malheur s’abattait sur nous, si la Révolution nous prenait la raison de vivre, nos champs, notre maison, au moins l’ennemi nous prendrait-il au poste, gardiens de la terre, notre Foi au cœur, c’est-à-dire, intacte, la raison de mourir. »

Je conclurai en offrant au paysan catholique deux sujets habituels de réflexion, afin de marquer de deux points bien clairs cette longue méditation :

1) Le premier sur le destin précis qui le menace s’il ne comprend pas le sens de la persécution dressée contre lui :
Nous savons de source certaine que seuls les événements de mai 68 ont retardé la mise en application de la mesure suivante ([2]) : l’État est prêt à aider largement les cultivateurs qui veulent moderniser ou agrandir leurs entreprises, il prêtera et même donnera sans difficulté au paysan vivant à la seule condition qu’il fasse immédiatement de l’État le légataire universel de ses possessions terriennes !
Ainsi mourra la paysannerie française, sans embarras, sans bruit – et disparaîtra, avec elle, cette grandeur nationale, morale, religieuse pour laquelle sueur et sang ont coulé depuis des siècles : le patrimoine.

2) Mais s’il a compris, s’il accepte sa souffrance, s’il endure pour durer, sans compromission et sans mendicité, alors conseillons-lui de mettre en son cœur les sentiments de cette paysannerie contre-révolutionnaire héroïque qui fit la guerre de Vendée, qu’il apprenne à connaître comment ces provinces, évangélisées par saint Grignion de Montfort, luttèrent pour garder leur Dieu ([3]).
Chevalerie paysanne qui devrait se lever, aujourd’hui, pour l’honneur de Notre-Seigneur, c’est-à-dire précisément pour le catéchisme et le patrimoine terrien de ses enfants.

Luce Quenette.

[1] – (1) Voir : « Sacra Virginitas », dans Itinéraires, numéro 129 de janvier 1969.
[2] – (1) On peut espérer que cette mesure soviétique sera rapportée, si quelque chose a changé en France. (Note de mai 1969.)
[3] – (2) La Revue du Souvenir Vendéen, Boîte postale 204, Cholet (49), indique et fournit des livres, fascicules et documents.
Ludovic 2Nîm
Son texte est un peu compliqué pour notre époque où nous ne connaissons plus notre patrimoine littéraire, mais elle a rappelé l'essentiel et notamment vis à vis de ce que nous avons perdu...
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Son texte est un peu compliqué pour notre époque où nous ne connaissons plus notre patrimoine littéraire, mais elle a rappelé l'essentiel et notamment vis à vis de ce que nous avons perdu...

Maintenant, ces agriculteurs en payent le prix : Les agriculteurs ont-ils plus de cancers à cause des pesticides comme l'affirme Ségolène Royal ?

Certains d'entre eux se sont cru malins en se réservant une parcelle de terre sans pesticide, mais ils ont ignoré que le sol se contamine forcément...