Saint du Jour.- 16 Mai - SAINT JEAN NÉPOMUCÈNE MARTYR

Saint JEAN NÉPOMUCÈNE MARTYR (vers 1330-1383) Le martyr du secret de la confession naquit en Bohême, à Népomuk, dans la région de Pilsen ; il tire son nom du lieu de sa naissance. Ses parents, d'honnête race et de médiocre fortune, l'obtinrent dans leur âge avancé, par un pèlerinage à Notre-Dame ; c'est en reconnaissance qu'ils appelèrent leur enfant du nom de Jean, le fils donné par Jésus à sa Mère. On dit que, sur la maison où il venait au monde, des lumières célestes rayonnèrent, — comme, après son martyre, autour de son corps inanimé.
Le petit Jean, doué d'une grande piété, aimait à se rendre au couvent des Cisterciens, proche de Népomuk, et à servir, sans se lasser, plusieurs messes chaque jour. Il commença ses études fort brillamment aux écoles célèbres de la ville de Staab, non loin de Pilsen ; puis il se rendit à Prague, pour s'y livrer, avec un succès égal, à la philosophie, à la théologie, au droit canon.
Docteur en toutes ces sciences, il se prépara au sacerdoce par une retraite d'un mois, tout entière donnée à la méditation et à la pénitence. Et une fois prêtre, il se consacra à la prédica-tion. Les succès apostoliques qu'il remporta par une parole éloquente, mais surtout animée du plus pur esprit de Dieu, furent tels que l'archevêque de Prague ne tarda pas à le nom-mer chanoine de sa cathédrale et prédicateur du peuple chré-tien. Bientôt sa réputation, parvenue aux oreilles de la cour, excita dans le roi Wenceslas un grand désir d'entendre le célèbre orateur. Jean prêcha devant lui un Avent qui dépassa toute attente. Le roi, la reine, Jeanne de Bavière, en furent ravis.
Ils lui proposèrent d'abord l'évêché de Leitmeritz, puis la pré-vôté de Wischeradt, à laquelle, avec un revenu de quatre-vingt mille florins, était attachée la p!us haute d'gnité ecclésiastique après celle de l'archevêque de Prague. Mais Jean refusa l'un comme l'autre, redoutant l'honneur et soucieux seulement de convertir les âmes. Il dut cependant accepter la charge d'au-mônier des princes, et bientôt même la reine voulut lui confier la direction de sa conscience.
De son côté Wenceslas, tout d'abord, subissait le charme et l'influence de l'homme de Dieu; pendant quelque temps il acceptait, demandait même ses conseils et ses avertissements.
Mais bientôt son caractère, naturellement violent et même féroce, encore gâté par les flatteurs et le pouvoir absolu, rejeta toute contrainte. Et comme Jean croyait devoir lui faire des repré-sentations et s'opposer à sa tyrannie, le roi commença de le haïr. Il en trouva bientôt un autre motif qui devait coûter la vie à l'homme de Dieu. Les passions infâmes dont il était l'es-clave s'accommodaient pourtant avec un amour ardent pour la reine Jeanne, un modèle de douceur et de piété. Et cet amour se traduisait par une jalousie atroce qui l'emportait à tous les excès. Elle en vint au point qu'il voulut connaître les plus intimes secrets de la princesse, ceux dont son confesseur Jean était le seul confident. Il eut l'audace de demander à celui-ci de les lui révéler. « Une femme, une reine surtout, ne devait rien avoir de caché pour son époux : l'intérêt de leur union, de leur famille, de l'État même en faisait une loi. Que Jean consentît à calmer, par ses révélations, les troubles, les cha-grins inquiets dont le roi était dévoré ; les richesses, les hon-neurs seraient l'abondant et juste salaire de sa complaisance. » Jean ne pouvait en croire ses oreilles ; il fit appel à toute son autorité, à toute son éloquence pour protester contre les pré-tentions du prince et lui faire comprendre à quel crime il le pro-voquait. Wenceslas, effrayé, parut renoncer à son projet ; mais il garda au prêtre un profond ressentiment et se réserva pour une occasion meilleure.
A quelque temps de là, il trouva du moins celle de montrer sa rancuneuse colère. Un malheureux cuisinier avait fait déposer sur la table royale un chapon mal rôti. Le tyran, furieux, or-donna de saisir le maladroit, de le mettre à la broche et de le cuire à petit feu. Les courtisans étaient terrifiés, indignés ;
mais ils n'osèrent rien dire. Seul, Jean éleva la voix pour défendre la victime et flétrir le bourreau. Wenceslas le fit aussi-tôt jeter en prison ; il l'y garda plusieurs jours, enfermé sans nourriture dans un abominable cachot. Ensuite, le croyant réduit par la misère et par la faim, il lui envoya un seigneur pour lui présenter ses excuses au sujet de sa colère et le prier, en signe de pardon, d'accepter de venir s'asseoir à sa table. Pendant le repas, il se montra plein d'affabilité et de respect ; puis, écar-tant les témoins, il tenta contre la discrétion sacerdotale du confesseur un nouvel assaut, où il mêlait les menaces aux pro-messes. Mais Jean ne pouvait ni ne voulait céder. Alors la fureur du despote éclata. Il fit reconduire le héros en prison; sous ses yeux on retendit sur un chevalet, on lui brûla les flancs avec des torches enflammées. Mais le bourreau se lassa plus vite que le martyr ; Wenceslas s'éloigna, abandonnant sa victime pantelante, mais invaincue.
Peut-être la reine, avertie de ces scènes cruelles, sollicita son époux en faveur de Jean ; peut-être Wenceslas eut peur de Téclat dont la persécution couronnerait le prêtre : il le relâcha.
Mais celui-ci, soit qu'il devinât la haine inassouvie du roi, soit qu'il fût prévenu par une lumière divine, ne pensa plus qu'à se préparer à la mort. Prêchant au peuple sur ces paroles de l'Évangile : Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus,... il fit clairement entendre, non sans en manifester sa joie, le sort prochain qui l'attendait. Et tout à coup l'avenir s'ouvrit à ses yeux ; il fondit en larmes et prédit les infortunes qui bientôt s'abattraient sur la Bohême : les luttes religieuses, l'hérésie maîtresse, la persécution renversant les églises, brû-lant les monastères, le sang répandu à flots, tout ce qui se pas-serait lorsque Jean Huss bouleverserait ce malheureux pays.
Puis il voulut, pour mieux armer son âme, faire un dernier pèlerinage à la sainte Vierge : à Bruntzel, on vénérait une antique image de Marie, apportée jadis par les saints Cyrille et Méthode.
C'est là que Jean, fidèle dévdt de la Mère de Dieu depuis sa tendre enfance, vint lui recommander la lutte suprême qu'il prévoyait toute proche.
Il rentrait à Prague, le soir de la vigile-de l'Ascension. Comme il passait devant le château, le roi, à la fenêtre, l'aperçut. Sou-dain sa jalousie, sa rancune se réveillent; il donne un ordre :
on court vers Jean, on le ramène. Et sans préambule Wences-las interpelle le confesseur de la reine : « Écoute, prêtre, tu vas mourir, si immédiatement tu ne me révèles la confession de ma femme et tout ce qu'elle t'a dit. Parle, ou, par Dieu, tu boiras l'eau de la Moldau ! » Jean ne daigna pas répondre ; son silence et son regard disaient assez sa résolution. Aussitôt l'ordre est donné; on l'entraîne dans une chambre voisine, en attendant que la nuit vienne couvrir son supplice. Alors, les mains et les pieds liés, du haut du pont qui franchit la Moldau et rejoint les deux parties de la ville, on le précipite dans la rivière.
La tête se fracassa sur les arches du pont ; les dures arêtes des piliers meutrirent et ensanglantèrent les épaules; le corps roula dans le courant ; mais, tandis qu'il le suivait doucement, tout à coup de nombreuses flammes apparurent, l'environnant, l'escortant, frôlant les vagues qu'une crue récente grossissait.
Le prodige fut vu de la ville entière, accourue à ce spectacle.
La reine en fut témoin ; sur-le-champ elle alla le faire remar-quer à Wenceslas et lui en demander la raison. Mais lui, fa-rouche, se déroba subitement et trois jours demeura invi-sible.
Le crime cependant ne tarda pas à être divulgué. On avait tout lieu de redouter la colère du tyran, si on rendait au martyr les honneurs de la sépulture. Néanmoins les chanoines eurent ce courage : ils recueillirent le saint corps que la rivière avait déposé à sec sur sa rive et le portèrent dans l'église Sainte-Croix, qui était voisine. Les fidèles affluèrent immédiatement ; leur pieux respect, leur indignation, leurs prières, récompensées par plusieurs miracles, émurent Wenceslas : il donna l'ordre d'interrompre ce concours et de jeter le corps saint dans un coin de l'église. Mais la vénération du peuple ne le permit pas.
Au son de toutes les cloches, une immense procession s'organisa, portant les restes bénis, d'où s'exhalait un parfum délicieux ;
elle traversa toute la ville en grande pompe et vint les dépo-ser dans la cathédrale, au milieu des chanta et des larmes.

Le culte de saint Jean Népomucène s'établit dès ce mo-ment ; son tombeau fut toujours honoré par les prières de nom-breux pèlerins ; les empereurs d'Allemagne venaient s'y age-nouiller. C'est à leur requête qu'en 1729 Benoît XIII publia la bulle de la canonisation du saint martyr. Dix ans auparavant, l'archevêque de Prague avait ouvert le tombeau et reconnu les reliques : il trouva le corps intact, portant rouges et bleuâtres les blessures faites par sa chute dans la Moldau. La langue était restée aussi fraîche, aussi souple et vermeille que celle d'un homme vivant : ainsi Dieu consacrait et glorifiait la discrétion sacerdotale.