Saint du Jour - 11 Mai.

SAINT FRANÇOIS DE GERONIMO CONFESSEUR <1642-1716)

Le 17 décembre 1642, d'une pauvre famille des Grottailles, bourg voisin de Tarente, naquit un enfant prédestiné à être l'un des plus admirables apôtres et thaumaturges du xvn e siècle finissant. François, l'aîné des sept enfants de Léonard de Gero-nimo et de Gentille Gravina, montra dès ses six ou huit ans un grand goût pour l'apostolat : il réunissait autour de lui ses petits camarades et leur répétait ce qu'il avait appris de la religion. Confié d'abord aux Théatins, qui dirigeaient un col-lège aux Grottailles, il fut par eux signalé à l'archevêque de Tarente ; celui-ci, frappé de ses dispositions pieuses, lui donna la tonsure en 1658, puis l'appela dans sa ville épiscopale pour y étudier la philosophie sous les Pères de la Compagnie de Jésus. En 1663, après avoir reçu le diaconat, il fut envoyé à Naples, où il devait apprendre le droit civil et le droit canon.
Dans cette ville, bien agitée par ses nombreux étudiants, il chercha et trouva un refuge contre la dissipation dans le tra-, vail et surtout dans la dévotion à la très sainte Vierge. Trois ans après, reçu docteur, ordonné prêtre, il obtenait du Père recteur du collège des Nobles, — pour pouvoir, malgré sa pauvreté, faire ses études théologiques, — la charge de préfet :
c'était le titre qu'on donnait aux surveillants d'un groupe de douze ou quatorze élèves qui, tout en suivant les cours du collège, vivaient réunis en un domicile commun.
Charge pénible par l'assujettissement où elle tenait, et plus encore par l'indiscipline, la morgue, l'insolence de ces jeunes nobles. François l'exerça avec un tact, une prudence et aussi une charité qui lui valurent une autorité respectée. Un jour cependant, un de ses élèves s'emporta au point de lui donner un soufflet. Déjà parvenu au sommet de l'humilité, le jeune préfet se mit à genoux, tendant l'autre joue à son orgueilleux insul-teur. On voit qu'il était prêt à une vie de détachement et d'abné-gation. Le 1 e r juillet 1670, il demandait à entrer au noviciat des Jésuites. « Ce jour, dit en le recevant le Père recteur, est un jour de gloire pour la Compagnie, car il vient de lui donner un Saint. » La prophétie se^réalisa. Après un an de noviciat, François fut envoyé à Lecce et, jusqu'à 1675, donna des missions dans la Pouille. Mais alors, malgré Tardent désir qu'il exprima d'être désigné pour l'évangélisation du Japon, où il espérait le mar-tyre, on l'attacha à la maison professe du Gesu nuovo, à Naples.
Il y resterait jusqu'à sa mort.
« La ville et le royaume de Naples, lui avait répondu le Père général Oliva, seront le Japon que Dieu vous destine. » Il y répandit, en effet, outre le parfum exquis de ses vertus, la se-mence de la parole divine avec un zèle et un succès qui ne se ralentirent jamais. En 1678, il était nommé missionnaire de Naples. Son ministère comprenait principalement la prédica-tion sur les places publiques, la direction d'une congrégation d'ouvriers et l'œuvre de la Communion mensuelle.
Tous les dimanches et les jours de fête, le crucifix à la main, il se rendait tantôt à un carrefour, tantôt sur une place. Précédé d'une grande croix, signe de sa mission, il s'arrêtait au milieu de la foule bruyante, montait sur un tréteau, même sur une borne,' et commençait son instruction. Alors le tumulte s'apai-sait, les bateleurs cédaient la place, on se groupait autour du Saint, qui d'une voix tour à tour véhémente ou pathétique éveillait dans les âmes la foi profonde, momentanément assoupie.
Il parlait de la mort, du jugement, de l'enfer, à ces ouvriers, à ces paysans, à ces lazzaroni, et son éloquence était si péné-trante, que, lorsqu'il s'arrêtait, une partie de l'auditoire courait aux confessionnaux.
Il exerçait une action pareille sur les humbles congréganistes qu'il réunissait au Gesù, dans la chapelle de Notre-Dame des Douleurs. Leurs âmes simples s'étaient données à leur Père, il les élevait aux cimes du bien ; et ces bons ouvriers, en retour, ne lui marchandaient jamais leur concours, toutes les fois qu'il le demandait pour une de ses œuvres.
C'est grâce à eux notamment, non moins qu'à ses actives pré-dications dans tous les villages voisins, qu'il attirait de véri-tables multitudes à la communion mensuelle, le troisième dimanche de chaque mois : on a compté dans l'église seule du Gesù jusqu'à treize mille communions en un seul de ces jours.
Mais tant de travail ne suffisait pas à François ; toutes les misères attiraient sa pitié : les forçats des chiourmes, les déte-nus des prisons, les esclaves mahométans, les débardeurs et les ouvriers du port, et même, — plus lamentables encore, — les malheureuses qui faisaient métier de leur vice ; il allait à tous, les prêchait tous, les convertissait, souvent au risque des pires vengeances et de la mort. Il ne dédaignait pas, du reste, des auditoires plus privilégiés, conservatoires de musique, cou-vents recrutés dans la noblesse, grandes dames de la plus haute société. Et partout sa sainteté, beaucoup plus que son talent, opérait des merveilles.
C'est à la sainteté, en effet, que Pieu a coutume d'accorder les grâces de conversion. Celle de François était admirable.
Ne parlons pas de son austérité, de ses disciplines sanglantes répétées trois fois le jour, de son rude cilice, de ses chaînes de fer, de la planche qui lui servait de lit. Ne parlons pas non plus de ses interminables oraisons, prolongées souvent la nuit entière :
le portier du collège racontait qu'il ne l'avait jamais 'trouvé sommeillant, toutes les fois, — très fréquentes, — où il alla, pendant la nuit, le chercher pour un malade ; ni de sa dévotion, tendre jusqu'à l'explosion des larmes, pour le petit Enfant de Bethléem, pour le Crucifié qu'il portait en ses mains pendant qu'il parlait, pour le prisonnier de l'Eucharistie, il mio Crisio Romitello. Ce sont les moyens divins d'entretenir la sainteté.
Elle est, elle, dans l'exercice des vertus. Il était si pauvre, que, toute sa vie, il voulut occuper la plus misérable chambre de la maison, glacière en hiver, four torride en été; il n'y gardait, avec la planche où il couchait, qu'une table mal jointe, deux chaises de paille, un prie-Dieu et deux images de papier. Plus humble encore, il se souvenait et rapportait volontiers qu'il était issu de pauvres gens ; surtout il s'estimait, se disait sincèrement et simplement pécheur et indigne de toute attention. Dieu per-mit que son humilité fût durement exercée par un de ses supé-rieurs d'abord, qui voulait tenter et perfectionner cette âme avide de progrès, puis par rarchevêque de Naples, trompé quelque temps par de faux rapports. Le Saint les vainquit tous deux par la constance, la sincérité, la profondeur de son abaisse-ment.
Et peut-être sa charité l'emportait sur tous ces dons célestes.
Elle était sans bornes et toujours en quête d'industries nou-velles. Tantôt il allait mendier pour ses pauvres de vieux vête-ments qu'il raccommodait de ses mains ; tantôt il recueillait les restes au réfectoire de la communauté et les portait aux affa-més. Pendant plusieurs années, il préleva sur sa nourriture, avec la permission de ses supérieurs, de quoi soutenir un pauvre prêtre paralytique. Beaucoup de riches personnages faisaient de lui leur aumônier ; il donnait alors, donnait jusqu'à l'épui-sement de sa bourse. Et sa charité, à défaut d'or, empruntait la puissance même de Dieu. Dans un refuge, la provision de blé s'était pourrie : François vient au grenier ; il étend les mains : « Froment du bon Dieu, dit-il, nourris ces pauvres filles cette année. » Le lendemain le blé avarié est redevenu sain. Ailleurs, l'unique figuier d'un couvent était mort de vieillesse ; François prie sur lui : « Cher arbre, produis des fruits en abondance pour les épouses de ton Créateur. » Et le figuier retrouve une fécondité qu'il n'a jamais connue si belle. D'autres miracles sont terrifiants et soulignent sa pré-dication. C'est une mauvaise femme qui par ses chants trouble le sermon. « C'est vous qu'elle outrage, mon Dieu, s'écrie le Saint; c'est vous qui la ferez taire! » Un cri s'élève ; la mal-heureuse vient d'être frappée de mort. Une autre réunissait chez elle des gens sans aveu et leur faisait jouer des instru-ments bruyants quand François commençait à parler. Il l'avait menacée au nom de Dieu. Un jour le silence ne fut pas troublé : « Catherine est morte, » dit-on au prédicateur qui interroge. Il monte avec un grand nombre d'auditeurs à la chambre mortuaire : « Catherine, s'écrie-t-il, au nom de Dieu, où es-tu? » Avec épouvante tous voient les lèvres mortes s'ou-vrir, s'agiter, tous entendent : « Je suis en enfer pour tou-jours ! » Mais combien de miracles, au contraire, soulagent la misère, consolent la tristesse, raffermissent les courages ! Une enfant morte depuis deux jours et déposée par sa mère dans le con-fessionnal du saint, est rendue à la vie ; un pauvre ouvrier à qui manque la somme nécessaire à faire ensevelir sa fille, voit soudain entrer François, qui cependant est au loin occupé à une mission ; il tend au malheureux père vingt écus et dispa-raît. On lui demande de bénir les eaux du golfe de Naples, devenues infécondes à la suite d'un tremblement de terre ; il les bénit : et ce jour même, les pêcheurs voient leurs filets se rompre sous le poids de leur capture. Effrayé, pour ainsi dire, de la multiplicité des prodiges qu'il opère, le thaumaturge se sert, en les demandant à Dieu, d'une relique de saint Cyr, à qui il les attribue mais qui n'est efficace que dans ses mains ; et lui-même, à son lit de mort, reconnaît que sa relique a obtenu plus de dix mille guérisons.
Enfin, en février 1715, François fut atteint d'une pleurésie.
Il voulait travailler encore : « Une bête de somme, disait-il, doit mourir sous le fardeau. » Ses supérieurs s'y opposèrent ;
mais en vain essayèrent-ils de le guérir ; tous les moyens échouèrent. La maladie évolua en hydropisie de poitrine ; un an plus tard, après de terribles souffrances supportées douce-ment, héroïquement, François expira, au moment où son supé-rieur, comme s'il lui donnait l'ordre attendu par son obéissance, prononçait les mots liturgiques : « Pars, âme chrétienne, pars de ce monde ! »