La secte des "Assassins" : une des premières organisations terroristes de l'Histoire ?

Publicité

La secte des "Assassins" : une des premières organisations terroristes de l'Histoire ?

Par
Gravure représentant Hassan ibn al-Sabbah (1036-1124) ordonnant à ses disciples de se tuer, depuis le haut de la vallée d'Alamut, Perse, vers 1096
Gravure représentant Hassan ibn al-Sabbah (1036-1124) ordonnant à ses disciples de se tuer, depuis le haut de la vallée d'Alamut, Perse, vers 1096
© AFP - Leemage

Le terrorisme trouverait-il ses origines au Moyen Âge ? Au micro de Jean Lebrun, l'historienne Anne-Marie Eddé expliquait en quoi "les Assassins", cette secte islamique ayant existé entre le XI et XIIIe siècles, adoptaient déjà certains modes d'action terroristes préfigurant ceux des organisations contemporaines.

Si cette secte continue de nourrir de nombreux fantasmes et l'imaginaire historique - pensons à la célèbre reconstitution de la secte dans l'adaptation fictive qu'en a faite le premier Opus du jeu vidéo Assassin's Creed (2007), vendu à plus de 140 millions d'exemplaires dans le monde - l'historienne Anne-Marie Eddé, explique, dans La marche de l'Histoire, en quoi l'histoire de la secte des assassins ressemble beaucoup aux processus terroristes de notre époque. Et nous permet de mieux comprendre pourquoi le terrorisme est loin d'être un phénomène récent.

Une secte née dans l'Iran médiéval

  • Les divisions entre Sunnites et Chiites à l'origine de la secte

Dès la mort du prophète en 632, une crise de succession politique éclate au sein d'un système islamique où les chefs politiques de l'époque, les califes, disposent d'un pouvoir aussi bien politique que religieux. Une conception culturelle du pouvoir propre à l'Islam médiéval qui produit de nombreuses scissions politiques, plus précisément des schismes partisans et religieux.

Publicité

Anne-Marie Eddé nous apprend que "le politique et le religieux sont intimement mêlés dès l'origine de l'islam et la grande scission qui intervient dans le cadre de la succession de Mahomet, conditionne l'émergence de cette secte des assassins. Une scission qui oppose les Chiites et les Sunnites.

"Les Assassins" descendent d'une scission qui a lieu au VIIIe siècle entre chiites, divisés entre duodécimains et ismaéliens. C'est un groupe de fidèles chiites ismaéliens qui donne naissance à cette secte dissidente vis-à-vis du pouvoir central sunnite (que sont à l'époque les Turco-perses Seldjoukides qui dominent la zone du XIe à la fin du XIIe siècle). Les Assassins trouvent un chef en la personne du perse Hassan ibn al-Sabbah. Ils s'emparent de la forteresse d'Alamut à quelques centaines de kilomètres de Téhéran où ils établissent toute une communauté déstabilisante, agissant dans l'ombre de l'Etat**"**.

Les vestiges de la citadelle d’Alamut, dans les montagne d’Elburz, en Iran, août 2013
Les vestiges de la citadelle d’Alamut, dans les montagne d’Elburz, en Iran, août 2013
© Maxppp - ABEDIN TAHERKENAREH / EPA
  • Une secte qui commandite aux marges de l'Etat ciblé

Il construit sa propagande, établit des bases arrières dans les zones montagneuses et rurales reculées à quelque kilomètres au nord de Téhéran. C'est un énorme réseau qui mise sur les ralliements de nombreuses tribus marginales, pauvres, mécontentes, réfractaires à l'État et guerrières situées dans les zones où l'emprise du pouvoir central n'est que fragilement acquise. Des méthodes de recrutement qui prennent la même forme aujourd'hui.

Ce sont des espaces constitués de plusieurs forteresses isolées et reliées les unes aux autres, disséminées à l'abri des regards par pure stratégie. Grâce à leur idéologie dissidente formulant un mépris systémique à l'endroit du pouvoir central, ils usent d'un outil de propagande et de conversion qui leur permet de rallier de nombreuses populations environnantes. Ils collectent le fruit des désillusions suscitées par l'emprise de l'empire Seldjoukide, ce qui leur donne un pouvoir d'action incomparable. Ils s'emparent d'un grands nombre de points centraux de la région iranienne. À partir du début du XIIe siècle, le réseau des Assassins est bien plus important au point de gagner aussi la Syrie, encore sous domination de la puissance déclinante des Fatimides. La forteresse de Masyaf est investie au milieu du XIIe siècle par le nouveau chef de la secte Rachid ad-Din Sinan, reprenant à son compte le surnom du "vieux de la Montagne" du chef fondateur de la secte.

Les actions "terroristes" de la secte

Anne-Marie Eddé : "Les Assassins parviennent à perturber efficacement le pouvoir des Turcs Seldjoukides au point d'instrumentaliser les nombreuses divisions qui règnent au sommet de l'Etat, parmi les membres de la famille du sultanat".

En effet, ils seraient à l'origine de l'assassinat d'un des plus grands vizirs Seldjoukide, Nizam al-Mulk, tant les assassins sont capables de s'infiltrer jusque dans la cour du sultan. Ils parviennent à obtenir le soutien des plus fidèles des puissants. Cet assassinat est l'un des plus grands attentats terroristes de l'époque car c'est la première fois qu'une organisation "terroriste" secrète parvient à assassiner le symbole d'une puissance politique hégémonique et à créer au passage un émoi collectif global susceptible de déstabiliser les structures conventionnelles en place. C'est une des premières offensives de terreur diffusé autant dans l'esprit des populations soumises par l'Etat que les personnalités dirigeantes elles-mêmes.

En Syrie, il n'est pas rare que les assassins se déguisent pour assassiner leurs cibles, comme d'ailleurs une personnalité de la ville de Homs en plein lieu de marché. Ils arrivent même à tuer le calife fatimide Mansur al-Amir Bi-Ahkamillah en 1130. À mesure qu'ils parviennent à s'en prendre à de hauts dignitaires, la stupeur jetée sur la population est bien plus importante. Saladin devient l'une de leurs principales cibles au XIIe siècle, bien qu'ils manquent leur cible durant leurs deux uniques tentatives en 1174 et en 1176.

Si les Assassins sont très impliqués dans les conflits de la région à une époque où la croisade éclate, à la toute fin du XIe siècle, l'objectif principal reste de bouleverser la puissance islamique hégémonique en place. La secte disparaît avec l'invasion des Mongols dans les années 1240.

Aller plus loin

🎧 RÉÉCOUTER - La Marche de l'histoire : Le mystère des Assassins avec Anne-Marie Eddé

📖 LIRE - Gérard Chaliand et Arnaud Blin : Histoire du terrorisme, depuis l'Antiquité à Daesh (Fayard, 2016)

🎧 RÉÉCOUTER - Le débat de midi : L’Histoire peut-elle aider à agir contre le terrorisme ?

pixel