12 septembre 1213 : La bataille de Muret

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Enluminure sur la bataille extraite de LA CANSO

Avec la mort du roi Pierre II la bataille de Muret a mis fin à la possibilité de voir le comté de Toulouse s’unir à celui d’Aragon. Ce fut au contraire l’élément déclenchant qui permit au Roi de France d’annexer le Languedoc à la couronne.

Paratge était mort.

Mais qu’en est-il vraiment de cette bataille ? Comment expliquer que, bien qu’en infériorité numérique, Simon de Montfort et ses croisés ont pu emporter une victoire contre la coalition formée des troupes toulousaines, commingeoises, fuxéennes, catalanes et aragonaises ? Qui doit-on croire parmi les chroniqueurs témoins directs ou indirects de ce terrible événement? C’est à cette tache que je me suis attelé dans mon ouvrage en préparation « Les batailles de Muret ». Je me suis replongé dans les récits épiques contemporains de la bataille. Les narrations varient d’un auteur à l’autre en fonction du camp dont il se sent le plus proche. Les récits peuvent même être parfois contradictoires. Par ailleurs j’ai l’avantage de connaître parfaitement le terrain sur lequel s’est déroulé l’affrontement.

 Et tout d’abord, de quels textes parlons-nous ? Le plus célèbre et certainement le plus beau est « la Cansó » (la chanson).

La Cansó est une chanson de geste en langue d’oc écrite au début du 13ème siècle. Elle comprend 9578 vers. Elle raconte la croisade contre les albigeois qui débuta en 1209. Le récit s’achève dans les années 1218-1219 (alors que la croisade elle-même a continué jusqu’au-delà de l’an 1230). La première partie de ce récit a été écrite par le clerc navarrais Guilhèm de Tudèla. Malgré ses origines méridionales, celui-ci est favorable au clan français et plus particulièrement à Baudouin, frère de Raimon VI, lui aussi rangé aux côtés de Simon de Montfort. Son récit est froid, dénué de toute émotion. Il s’arrête avant la bataille de Muret. Les 6800 derniers vers de la Cansó ont été écrits en 1218 par un auteur anonyme, certainement un clerc toulousain proche de Raimon VII, fils de Raimon VI. Contrairement à son prédécesseur, l’auteur s’enflamme pour la cause occitane et un souffle épique transporte alternativement le lecteur entre enthousiasme et horreur.

Nous trouverons également une description détaillée de la bataille dans « L’Histoire Albigeoise » de Pierre des Vaux-de-Cernay. L’auteur est un historien  mort après 1248. Il était moine au couvent des Vaux-de-Cernay dont son oncle Gui était abbé. Il le suivit lors de la quatrième croisade jusqu’à sa déviation contre Constantinople, puis à la croisade contre les albigeois, dont il a écrit l’histoire. Il y fait l’apologie de Simon de Montfort. Son ouvrage, imprimé en 1615 (Troyes, in-8), a été reproduit dans les recueils de Duchesne, dom Bouquet… Il est à préciser quand même que, s’il a suivi son oncle tout au long de la croisade, il n’était pas à Muret le jour de la bataille. Son récit s’appuie sur le témoignage d’acteurs de cette bataille. Il est à noter que cette histoire albigeoise contient une lettre écrite par les prélats de l’armée de Simon de Montfort et adressée au pape. On pourra également en tirer quelques détails.

Ce sera ensuite « La Chronique » de Guillaume de Puylaurens. Guillaume de Puylaurens est originaire de la ville dont il porte le nom. On dit qu’il est né au début du 13ème siècle et Charles Lagarde, qui a traduit la chronique du latin an français, dit qu’il a été un témoin, pour ne pas dire un acteur de la guerre des albigeois, ce qui semble contradictoire avec sa date de naissance présumée, ou alors il n’a été témoin que de la fin de la croisade et en aucune façon de la bataille. On le retrouve en 1241 comme ecclésiastique, notaire de l’évêque de Toulouse. De 1242 à 1247, il a été l’aumônier et chapelain de Raimon VII, fils de Raimon VI. Charles Lagarde qualifie sa chronique de texte aussi intéressant que ceux de la Cansó ou de l’Histoire albigeoise de Jean de Vaux de Cernay. Il la trouve moins passionnée que les autres textes mais, de ce fait, plus impartiale et peut être plus véridique.

Nous avons également à notre disposition « La Philippide » écrite par Guillaume le Breton. Guillaume le Breton, comme son nom l’indique, est né en Bretagne, dans le diocèse de Léon en 1165. Il entre dans les ordres et au service de Philippe Auguste comme clerc. Inutile de dire que son récit est entaché de partialité en faveur des croisés.

Reste « La chronique du roi Jacques » dont nous retrouvons des extraits dans « L’Histoire Générale de Languedoc », écrite par dom Claude Devic et Dom Joseph Vaissète au 19ème siècle. Cette chronique a été écrite par le père Gil, chapelain du roi décédé. Elle est ce qu’on appelle une fiction autobiographique dans laquelle certains événements ont pu être arrangés  par ses rédacteurs, le roi Jacques 1er ne se contentant que de la signer.

Je vous propose de mettre en parallèle ces textes et d’essayer de comprendre ce qui a bien pu se passer ce funeste jeudi 12 septembre 1213.

 La mise en place des belligérants :

 La Chanson de la croisade décrit les pierriers dressés et l’assaut victorieux donné par les Toulousains contre Muret occupé par une faible garnison croisée, et ceci avant que Simon de Montfort n’accoure à la rescousse. Elle montre un Pierre II fin tacticien qui demande à ses troupes d’abandonner la ville afin que Simon de Montfort, qui est annoncé, s’y enferme comme dans une nasse :

« Laissons ceux de Muret tranquilles, leur dit-il.

Les réduire à merci serait pure folie.

Je sais par mes espions et messagers secrets,

Que Simon de Montfort et ses barons arrivent.

Ils seront là demain, entreront dans la ville

Et s’y enfermeront. C’est alors seulement

Qu’il nous faudra forcer les remparts du château.

Les chefs de la croisade y seront pris au piège.

Ils n’y pourront survivre. Ils périront tous là

Et l’honneur renaîtra sur nos terres souffrantes.

Mais si dès aujourd’hui nous soumettons la ville,

Simon prendra la fuite. Il faudra le poursuivre.

La bataille sera beaucoup plus indécise.

Donc, mettons-nous d’accord : que personne n’empêche

Montfort et ses croisés d’entrer dans la cité.

Quand il sera dedans nous abattrons nos cartes

Et jouerons notre coup.

 Dans l’histoire albigeoise, ce même assaut est relaté. On y voit les assiégés envoyer un émissaire à Simon de Montfort pour l’informer du siège et lui demander assistance :

Sans perdre temps, les nôtres envoyèrent vers le noble comte de Montfort, lui faisant savoir qu’ils étaient assiégés, et le priant de leur porter secours , parce qu’ils n’avaient que peu de vivres ou presque point, et qu’ils n’osaient sortir de la place pour en faire.

 La lettre des prélats confirme bien l’appel au secours lancé en direction de Simon de Montfort.

Dans la chronique de Guillaume de Puylaurens, il est simplement dit que, quand le comte de Montfort en eut connaissance (du siège de Muret), il se hâta de marcher au secours des siens.

Dans la Philippide il est dit que Simon de Montfort a fui les coalisés qui, au nombre de 200 000 le poursuivaientt alors qu’il n’était lui-même accompagné que de 240 chevaliers, 70 hommes d’armes à cheval et 300 hommes à pied. Il alla s’enfermer et se mettre en sécurité dans la citadelle de Muret… Avec Simon, des hommes de premier rang s’étaient enfermés dans le château de Muret, ainsi qu’un plus grand nombre d’hommes du second rang et une foule très nombreuse de membres du clergé inférieur, auxquels la loi de l’Eglise défend de porter les armes.

 A partir de ce moment-là vont se tenir des conseils de guerre pour définir la stratégie. Côté occitan, d’après la Cansó, il y a discorde sur la tactique à employer :

 Le roi Pierre d’Aragon veut un combat de plaine :

 Le bon roi d’Aragon dont la parole est d’or,

Dit : « Seigneurs, écoutez. Voici ce qu’il faut faire :

Simon est dans Muret. Il ne peut s’échapper.

Avant la nuit tombée je veux le voir rendu.

Nous allons donc livrer une grave bataille.

Attaquez sans détour, commandez droit vos hommes,

Cognez, trouez, taillez et ne reculez pas.

C’est le seul moyen de vaincre, chevaliers ! »

 De son côté, Raymond VI préfère jouer de prudence :

 « Sire roi, dit alors le comte de Toulouse,

Si vous voulez m’en croire, un peu plus de prudence

Serait de bon aloi en ce combat majeur.

Faisons plutôt dresser de hautes palissades

Autour de notre camp. Attendons les Français.

Quand ils attaqueront, nos archers communaux

Les flècheront si dru qu’ils feront demi-tour.

Alors nous surgirons, nous leur courrons aux trousses,

Et les écraserons sous leurs chevaux sanglants. »

             Toujours d’après la Cansó, Montfort veut tenter le tout pour le tout :

 « Nous sommes tous  ici, seigneurs, barons de France,

Pour risquer notre vie. Cela vous le savez.

Mais que faire pour vaincre ? Ecoutez. Cette nuit

Je n’ai pas fermé l’œil. J’ai longtemps médité

Sur le parti à prendre. Il faut à mon avis,

Par ce sentier herbu qui conduit à leurs tentes,

Aller aux Toulousains comme pour les surprendre

Et tenter de les attirer loin de leur camp.

Si l’entreprise échoue, s’ils veulent nous cerner,

N’insistons pas. Fuyons tout droit sur Auvillar. »

 Dans l’Histoire Albigeoise, Pierre des Vaux-de-Cernay est moins prolixe :

Le lendemain, au point du jour, le comte se rendit à sa chapelle, située dans la citadelle, pour y entendre la messe, tandis que pour même fin nos évêques et chevaliers allèrent à l’église du bourg ; et, après la messe, le comte passa dans le bourg suivi des siens, pour tenir conseil avec eux.

            Après une dernière tentative de négociation, Simon de Montfort s’adresse aux évêques : « Vous voyez que vous ne gagnez rien, et qu’il se fait un plus grand tumulte; assez, ou, pour mieux dire, trop d’affronts avons-nous endurés. Il est temps que vous nous donniez licence de combattre.»

             Dans leur lettre, les prélats ne font allusion qu’à l’échec des négociations.

             Dans la Chronique, Guillaume de Puylaurens dit que Montfort jugea préférable d’affronter des dangers qu’une seule journée verrait finir, plutôt que d’accroître l’audace de ses ennemis, en traînant lâchement les affaires en longueur.

L’auteur parle également de la tactique de Pierre II :

Le roi d’Aragon fait ses dispositions pour la bataille, malgré l’avis contraire du comte de Toulouse, qui jugeait préférable d’attendre les Français dans le camp, de les affaiblir en frappant les chevaux d’une grêle de traits, et en blessant les hommes avec des projectiles.

— « On les attaquerait plus sûrement, disait-il, quand ils seraient affaiblis ; et par cette attaque il serait plus facile de les écraser ou de les mettre en fuite, puisque le manque de vivres les empêcherait de s’arrêter longtemps au château de Muret. »

On reconnaît là la différence de tactique exprimée par le roi d’Aragon d’une part et le comte de Toulouse d’autre part et déjà évoquée dans la Cansó.

 Dans la Philippide, Guillaume le Breton imagine une longue tirade dans la bouche de Simon de Montfort pour donner du courage à ses barons :

« Magnanimes seigneurs, issus de la race troyenne,  illustre peuple des Francs, et héritiers de Charles  le puissant, de Rolland et du vaillant Oger, qui avez quitté, pour défendre la loi du Christ, le sol si doux de la patrie, tant de châteaux, tant de champs, tant de lieux tout remplis de délices et de richesses, tant d’amis, tant de gages précieux de  vos mariages, ayez toujours le Christ devant les yeux de votre esprit, et confiez-vous à celui-là seul pour l’amour et la foi duquel nous avons livré tant de combats, vaincu tant de fois les ennemis, qui seul a le pouvoir de nous donner le salut, qui seul nous a soustraits à mille dangers, et seul nous sauvera maintenant du péril de ce moment…

 Les négociations ayant échoué, chaque camp fait dire une messe. Je passerai sur les mésaventures de Simon de Montfort décrites uniquement dans l’Histoire Albigeoise : rupture de son ceinturon doré, coup de tête de son cheval. Ces détails n’apportent rien à l’histoire. Ils donnent simplement l’impression d’un chevalier qui entretien mal son équipement et qui connaît mal son cheval.

 En conclusion, Simon de Montfort est venu porter secours à sa garnison assiégée dans Muret. Les évêques ont tenté désespérément de négocier avec le roi d’Aragon. Ce dernier voulait un combat en plaine tandis que Raimon VI, son allié, préfèrerait attendre dans des camps fortifiés une sortie de Montfort pour que ses archers lui tire dessus. De son côté, Simon de Montfort décidait de faire une sortie et de tenter le tout pour le tout.

Arrivons-en au moment de la bataille.

 La sortie de la ville :

 A l’époque, Muret est une ville fortifiée en forme plus ou moins de triangle rectangle. Le long côté est orientée face au sud-est et est parallèle à la Garonne. C’est par un pont jeté sur ce fleuve que Montfort est arrivé à Muret. Une fois le pont franchi, il faut longer les remparts en remontant la rive gauche pour atteindre la porte de Salles. Cette partie du trajet au pied des remparts forme une espèce de chicane qui met l’éventuel visiteur indésirable à la merci des défenseurs. De cette même porte, à angle droit, part l’autre côté du triangle orienté face au sud-ouest. A son extrémité se trouve la « porte de Toulouse ». De cette dernière, l’hypoténuse du triangle orientée face au nord referme le triangle. Ce dernier rempart est longé par la Louge. C’est dans la jonction de ce dernier rempart et de celui qui longe la Garonne que se dresse le château. Certains historiens locaux ont parlé d’une troisième porte au niveau du château. Dans l’hypothèse où cette porte existait, elle ne pouvait en aucun cas servir de sortie à de la cavalerie car elle devait ouvrir directement sur le pont-levis du château et surplomber de plusieurs mètres le fossé qui, dans ce cas, séparait la ville de la forteresse. Mais, cette porte existait-elle vraiment ? Si oui, pourquoi les milices toulousaines ne l’ont-elles jamais prise d’assaut ? Elles auraient ainsi directement accédé au château. A mon avis, si certains ont voulu situer une porte à l’est, c’est que la Chronique parle de la porte orientale, ce qui est une façon de désigner la « porte de Salles » en opposition à celle « de Toulouse », située à l’occident. Par ailleurs, cette porte était protégée par un castelet (qui a donné son nom à la maison de retraite qui se trouve aujourd’hui sur son emplacement). Or, l’ouverture de la porte dans ce castelet pouvait aussi bien regarder l’orient.

  On verra à la lecture des récits qu’en ont fait les chroniqueurs de l’époque, qu’il y a une imprécision concernant la porte empruntée par les croisés pour sortir de la ville.

 Dans La Cansó, on lit que Simon de Montfort avait harangué ses hommes à la porte de Salles : Il rassemble ses gens

A la porte de Salles, et leur tient ce discours …

Si aucune allusion n’est faite à propos de la porte empruntée par les croisés pour sortir de Muret on peut penser que c’est par celle où Montfort a rassemblé ses troupes qu’ils sont sortis de la ville. D’autant que, de ce côté, ils sont loin des machines de guerre et qu’ils peuvent tranquillement répartir leurs troupes en trois corps loin des regards et des traits d’arbalète.

Bientôt les hommes d’armes

En trois colonnes marchent, oriflammes au vent,

Vers le camp toulousain.

Par le chemin bourbeux les voici qui s’avancent…

            S’ils ont emprunté un chemin, c’est qu’ils ont dû traverser la Louge sur un pont, que ce soit le pont qui fait face à la porte de Toulouse avant de s’élancer sur la route qui se dirige vers les campements coalisés (aujourd’hui Boulevard de Lamasquère), ou en suivant le rempart qui longe la Garonne et en empruntant le pont Saint-Sernin.

Par contre, une indication importante est sous-tendue par le fait que le chemin est « bourbeux ». En effet, cela signifie que de fortes pluies sont tombées dans les heures ou les jours précédents. Ces pluies auront pour conséquence de gonfler les flots de la Louge et de la Garonne. Dans ces conditions on voit difficilement la cavalerie se hasarder dans un passage à gué au moment d’engager un combat, d’autant qu’une chute entrainerait la noyade du chevalier lourdement équipé. De plus, les caparaçons protégeant les chevaux auraient pesé deux fois plus lourd une fois imprégnés d’eau, ce qui aurait affaibli les montures.

 Cette météo humide est confirmée dans l’Histoire Albigeoise :

 Partant de là, ils arrivèrent en un lieu de difficile passage, entre Hauterive et Muret, où ils pensaient devoir rencontrer les ennemis, vu que le chemin était étroit, inondé et fangeux. Or là tout près se trouvait une église où le comte entra, selon son habitude, pour faire sa prière, dans le temps même que la pluie tombait en abondance, et n’incommodait pas peu nos gens. Mais, durant que le soldat du Christ, je veux dire notre comte, priait de grande ferveur, la pluie cessa, et la nuée fit place à la clarté des cieux.

Ce genre de détail dans le récit a un parfum de vérité.

Mais revenons-en à la sortie des croisés. Dans l’Histoire Albigeoise nous lisons :

Ils sortirent du château, et rangés en trois troupes, au nom de la Trinité, intrépides, ils s’avancèrent contre les ennemis.

Aucune indication sur la porte empruntée. Cependant, il est déjà peu probable que 800 à 900 croisés, chevaliers et sergents à cheval, contiennent tous dans la cour du château. Il faut donc comprendre qu’ils sont sortis de la ville fortifiée. A partir de là, toutes les hypothèses sont envisageables quant à la porte et au pont utilisés.

 La lettre des prélats adressée au pape reprend les termes de l’Histoire Albigeoise avec la même imprécision :

Les croisés…sortirent de Muret, rangés en trois corps, au nom de la sainte-Trinité.

La Chronique est autrement plus précise quant à la porte empruntée :

Le plan des Croisés était de ne pas s’avancer directement en face de l’ennemi, pour ne pas exposer leurs chevaux à la grêle des traits que lanceraient les gens de Toulouse; c’est pourquoi ils sortirent de Muret par la porte orientale, tandis que le camp des assiégeants était du côté de l’occident. Pour ceux qui n’auraient pas connu leur dessein, ils avaient l’air de fuir, jusqu’à ce que, parvenus à quelque distance, ils traversèrent un petit ruisseau, et revinrent par la plaine dans la direction de l’ennemi.

Voici comment j’interprète ce texte. Les croisés sortent par la porte de Salles, comme indiqué dans la Cansó, se rangent en ordre de bataille avant de s’engager sur le chemin qui se trouve entre le rempart et le lit de la Garonne. A ce moment-là, un observateur pourrait penser qu’ils allaient prendre le pont sur la Garonne et fuir vers Auterive. Arrivés à la hauteur de ce pont, ils continuent vers le pied du château, traversent le pont Saint-Sernin qui se trouve en contrebas, et surgissent dans la plaine face aux coteaux sur lesquels les troupes aragonaises et toulousaines ont monté leurs camps.

 La Philippide est imprécise :

Aussitôt les portes sont ouvertes, et, tous revêtus de leurs armes, les croisés sortent d’une marche rapide, et se dirigent vers les bataillons ennemis. A la lecture de ce texte, on peut imaginer qu’il s’agit des portes qui font face aux coalisés, soit la porte de Toulouse (le pluriel vient du fait que cette porte avait deux ventaux) soit, pourquoi pas, plusieurs portes à la fois.

 

La Chronique du roi Jacques n’apporte aucune précision :

Ils (les croisés) sortirent ensuite pour livrer bataille.

 En conclusion, à la lecture de la Chronique confortée par celle de la Cansó, la porte empruntée pour la sortie des croisés est sans aucun doute la « porte de Salles ».

             L’affrontement :

 Dans la Cansó les choses vont vite :

Le bon roi d’Aragon, dès qu’il les aperçoit,

Rameute quelques hommes et fonce à la bataille.

Les soldats communaux, attirés pas ce branle,

Suivent, désordonnés, malgré les cris du comte

Qui veut les retenir. Les Français voient le roi.

Ils chargent droit sur lui. Messire d’Aragon

A beau crier son nom, ils ne l’entendent pas,

Ils le fendent, le percent. Il tombe de cheval

Et le voilà couché parmi l’herbe. Il est mort.

La victoire est rapidement emportée par les croisés qui visent le roi et l’abattent. Pas question ici d’armée divisée en trois corps, de tenue royale échangée avec un autre chevalier ou d’une quelconque technique d’encerclement de la part de Simon de Montfort.

 L’Histoire Albigeoise donne plus de détails :

Les soldats du Christ marchaient donc joyeux vers le lieu du combat, prêts à souffrir pour la gloire non seulement la honte d’une défaite, mais la mort la plus affreuse ; et, à leur sortie du château, ils virent les ennemis rangés en bataille, tels qu’un monde tout entier, dans une plaine voisine de Muret.

Il est de nouveau fait mention d’une « sortie du château ».

Soudain, le premier escadron se lança audacieusement sur eux, et les enfonça jusqu’au centre. Il fut aussitôt suivi du second, qui pénétra pareillement au milieu des Toulousains, et ce fut dans cette rencontre que périrent le roi d’Aragon et beaucoup des siens avec lui, cet homme orgueilleux s’étant placé dans la seconde ligne, tandis que les rois se mettent ordinairement dans la dernière. II fut tué par Alain de Roucy et Florent de Ville, nobles français qui s’étaient acharnés sur lui. En outre, il avait changé ses armes, et avait pris celles d’un autre. Quant à notre comte, voyant que les deux premières troupes des siens s’étaient plongées au milieu des ennemis, et y avaient presque disparu, il chargea sur la gauche le corps innombrable qui lui était opposé, lequel était rangé en bataille le long d’un fossé qui le séparait du comte.

Cette fois-ci on découvre que les armées étaient rangées en trois corps et que le roi d’Aragon s’était positionné dans la deuxième ligne alors que Montfort était dans la troisième de son ost. On découvre également ici que le roi a cédé ses armes à un autre chevalier. Et l’on apprend que Montfort a employé une technique de contournement pour surprendre l’ennemi. Le fait d’écrire « Il chargea sur la gauche le corps innombrable… » laisse à penser que c’est sur la gauche de ce corps et sur la droite de Montfort que la charge s’est faite. S’ils avaient chargé sur la droite de l’ennemi, Pierre des-Vaux-de-Cernay aurait écrit « Il  chargea sur sa gauche… ». Par ailleurs, en chargeant par sa gauche, Simon de Montfort serait passé au pied des camps retranchés d’où auraient pu partir des volées de flèches. Rajoutons à ça que de tout temps, la gauche portait malheur (sinistra).

 Il est mentionné un fossé que Simon de Montfort devait franchir pour atteindre le roi d’Aragon à qui le narrateur donne le titre de comte (il était roi d’Aragon et comte de Barcelone). La Saudrune répond davantage au qualificatif de fossé alors que la Louge est déjà une petite rivière. Il en est de même pour un ruisseau situé plus au nord et qui serpente dans « Les Pesquiès ».

On peut alors facilement imaginer que l’ost croisé a franchi la Louge sur le pont Saint-Sernin, que les deux premiers corps croisés ont chargé tandis que Montfort contournait l’ennemi par sa propre droite.

Dans la lettre des légats c’est le Tout-Puissant qui fait tout le travail :

Les croisés sortirent de Muret, rangés en trois corps, au nom de la sainte-Trinité. De leur côté, les ennemis, ayant nombreuse troupe et bien grande, quittèrent leurs tentes déjà tout armés, lesquels, malgré leur multitude et leur foule infinie, furent vaillamment attaqués par les serviteurs du Christ, confiants, malgré leur petit nombre, dans le secours céleste, etguidés par le Très-Haut contre cette armée immense qu’ils ne redoutaient pas. Soudain la vertu du Tout-Puissant brisa ses ennemis par les mains de ses serviteurs, et les anéantit en un moment.

La Chronique donne la façon dont étaient disposés les corps d’armée de part et d’autre :

Lorsque le roi a rangé son armée, tous s’avancent en bon ordre. A l’avant-garde marche le comte de Foix avec les Catalans : c’est lui qui portera les premiers coups. Il est suivi d’une multitude de combattants.

Du côté opposé, le comte Simon partage ses troupes en trois corps, selon les principes d’une tactique dans laquelle il était fort habile… Les derniers rangs des croisés hâtèrent le pas pour rejoindre ceux qui les devançaient, et ils se trouvèrent tous en ordre serré pour recevoir le premier choc. Ils savaient bien que l’union fait la force et procure la victoire. Aussi, dès le commencement de l’attaque, ils rompirent les bataillons ennemis, comme le vent balaye la poussière sur la surface de la terre. L’avant-garde, ainsi dispersée, vint se reformer à l’arrière-garde. Les croisés tournent ensuite leurs efforts contre le corps d’armée du roi, dont ils ont reconnu la bannière, et ils s’élancent avec tant d’ardeur, que le cliquetis des armes, le bruit des coups, retentissait dans les airs jusqu’au lieu où était Monseigneur Raymond, qui m’a raconté ces faits. C’est là que mourut le roi. Autour de son cadavre gisaient en monceau les braves qui l’avaient défendu jusqu’à la fin.

Dans ce texte on découvre une autre technique : l’avant-garde croisée se reforme à l’arrière-garde. On ne parle pas là de la tactique de contournement de Simon de Montfort.

Pour compléter le tour d’horizon des textes, je citerai la Philippide mais sans y apporter le moindre crédit. Jugez-en plutôt, surtout quand il est question du combat du roi d’Aragon et de sa mort :

Bientôt après il (Simon de Montfort)passe en revue toute son armée, et d’un seul corps il en forme trois. Aussitôt les portes sont ouvertes, et, tous revêtus de leurs armes, les croisés sortent d’une marche rapide, et se dirigent vers les bataillons ennemis, semblables au lion qui se bat les flancs avec sa queue pour animer sa fureur, lorsqu’il s’élance, portant le trouble, au milieu d’un troupeau de vaches qu’il voit au loin dans les vallons herbageux de l’Ida, et qui oublient leurs pâturages aussitôt qu’elles l’ont reconnu. Avec non moins de légèreté et tout autant d’impétuosité, les champions du Seigneur, marchant le glaive nu, s’élancent contre les ennemis qu’ils voient devant eux. A cette vue, les Aragonais se réjouissent, pensant qu’ils sont saisis d’un véritable transport de folie, et reçoivent d’autant plus volontiers ceux qui leur semblent se précipiter volontairement à la mort. Ils frappent donc avec courage, de même qu’ils sont frappés : dès les premiers coups ils résistent avec une égale valeur, et, resserrant de tous côtés leurs bataillons, ils forment un cercle, afin de ne laisser échapper par la fuite aucun de ceux qu’ils espèrent pouvoir détruire en un instant, pensant qu’il faudra bien peu de temps à une armée de cent mille hommes pour envelopper un corps de douze cents hommes tout au plus. (On reviendra plus tard sur les effectifs supposés) Déjà ce corps est caché, déjà l’on ne peut plus apercevoir cette poignée de Français, perdus au milieu des nombreux escadrons qui les environnent. Le combat devient plus rude, les coups sont redoublés, les lances n’agissent plus, les glaives nus pénètrent dans les entrailles. Mais déjà le courage n’est plus égal au courage, les coups sont inférieurs aux coups, les poings aux poings, les forces aux forces. Tout ennemi que frappe le Français tombe aussitôt, et rend dans l’air le dernier souffle de sa vie. Si quelqu’un tombe de cheval encore vivant, soudain les hommes de pied le déchirent, et lui arrachent les entrailles, tandis que les chevaliers s’empressent d’en renverser d’autres, afin que les hommes de pied puissent de leurs mains couper la gorge à ceux qui seront tombés, ou bien encore ils les tuent sur leurs chevaux même, en les couvrant de blessures.Le roi d’Aragon cependant est furieux de voir ainsi massacrer sous ses yeux même ses chers amis, sans pouvoir leur porter secours. Il s’afflige et veut essayer ses forces contre Simon, dédaignant de se mesurer avec d’autres, et jugeant tous les guerriers moindres que celui-ci indignes des coups de son bras royal. Simon, plus prudent et plus habile au combat, se porte à sa rencontre, et faisant un mouvement de côté, évite la lance du roi, qui s’avançait sur lui pour lui transpercer les côtes. Alors il saisit promptement la lance du roi et l’enlève à son bras, en même temps que la bannière royale suspendue à l’extrémité de la lance, et maintenant cette bannière flotte sur la citadellede Rome avec le drapeau, pour rappeler au peuple un si grand triomphe. Le roi, tirant alors son épée, en frappe le comte ; mais le comte se relevant plus fort, et faisant sauter le cimier qui flotte au-dessus du casque du roi, le soulève avec vigueur de dessus son cheval, le rabat sur le cou de cet animal, et le serrant fortement dans ses bras vigoureux, cherche à emporter le roi, voulant lui conserver la vie, car il ne pense point qu’il soit permis de donner la mort à un tel homme, et il désire que tout le peuple puisse le célébrer comme compatissant envers un ennemi et bon envers un méchant. Le roi cependant fait effort pour échapper au comte, il parvient, non sans beaucoup de peine, à se soustraire à ses rudes embrassements, et tandis qu’il veut se redresser sur l’herbe verdoyante, il tombe de tout le poids de son corps et est renversé sur le sable jaunâtre. Alors les Aragonais enveloppent le comte de tous côtés, cherchant à le dompter bien plus qu’à relever leur roi, mais le comte demeure ferme comme une tour, et agitant son épée en tous sens, il disperse ceux qui le pressent, engraisse la plaine de leur sang et accumule les cadavres autour de lui.Il y avait auprès du comte un écuyer, nommé Pierre, qui n’eût point été indigne d’être fait chevalier, à raison de sa naissance et de sa valeur dans les combats. Cet homme ayant eu son cheval tué marchait à pied, et déjà il avait donné la mort à deux cents hommes peut-être. Ayant écarté la cuirasse du roi, déjà l’écuyer approchait le fer de sa gorge, lorsque le roi s’écria : « Je suis le roi, éloigne-toi, retiens ton bras, garde-toi de tuer le roi, mais plutôt sauve-lui la vie, et pour prix de cette vie il te donnera de nombreux milliers de marcs. » Pierre lui répondit: « Tout à l’heure, n’étant pas loin d’ici, je t’ai vu cherchant avec ton glaive à percer le cœur de Simon : tu m’aurais également tué et tous les Français à la fois, si la fortune t’eût regardé d’un œil favorable. Tu mérites donc de succomber sous ma  main, toi qui voulais donner la mort à moi, au comte, à tous les Français. En toi l’homme seul mourra, mais ta mort fera le salut de nous tous et de tous les nôtres. Tu es roi, et je désire être connu pour l’homicide d’un roi, donc brise maintenant cette gorge royale, ma droite qui déjà a mutilé les membres de deux cents hommes de ton peuple. Combien dirais-tu qu’il en est tombé sous les coups de mes compagnons, puisque le Seigneur, dont tu t’es fait imprudemment l’ennemi, m’a donné à moi seul le pouvoir d’en tuer autant? Maintenant donc il est convenable que tu accompagnes les tiens vers les ombres, afin qu’ils n’aient point peur de se présenter sans leur roi devant Pluton, et si le hasard fait que tu puisses triompher de celui-ci par la force, tu seras seul roi en ce lieu. Si tu veux toutefois que le destin plus favorable t’accorde la victoire, il faut nécessairement que tu combattes pour une meilleure cause. Va donc et n’oublie pas le présent qu’exige Caron ; car il ne  laissera point passer le Styx à toi ni aux tiens, si ton ombre ne lui paie d’abord le passage et ne lui présente de sa bouche la pièce de monnaie, attendu que tous sont devant lui de la même condition ; le serf ne diffère point du seigneur, ni le roi du chevalier ; ni les forces ne servent à l’homme fort, ni les richesses au riche, ni la pourpre au roi, le pauvre et le riche boivent à la même coupe, et  la même boisson est donnée à tous » . En disant ces mots, il avait déjà plongé son fer pour le teindre dans le sang du roi, et frappé deux fois pour mieux assurer ses coups.

L’affrontement direct entre Montfort et le roi d’Aragon, ces négociations sous la mêlée avec cet illustre écuyer inconnu nommé Pierre et qui pourtant désirait être connu pour l’homicide d’un roi, tout ça n’est que du roman, comme on disait à l’époque.

La Chronique du roi Jacques n’est pas loquace :

Ils (les croisés) sortirent ensuite pour livrer bataille. Les troupes du roi ne surent pas bien se ranger et, autant par leur mauvaise ordonnance que pour leurs péchés, elles furent vaincues. Ainsi mourut mon père ; car c’est de cette manière qu’en ont toujours usé mes ancêtres dans les batailles qu’ils ont données, et que j’en userai dans celles que je livrerai : vaincre ou mourir.

En conclusion,  Après être sortis par la porte de Salles, les croisés ont longé la Garonne et ont franchi la Louge par le pont Saint -Sernin. Les deux premiers corps ont chargé tandis que Montfort, à la tête du troisième, contournait la mêlée par sa droite. La première ligne des coalisés ayant été enfoncée, le roi Pierre II s’est vu rapidement entouré d’ennemis qui avaient juré sa perte. Il meurt et sa garde rapprochée avec.

Les conséquences de la mort du roi :

Par contre, les récits sont à peu près d’accord sur ce qui se passa sur le champ de bataille après la mort du roi d’Aragon.

La Cansó : Ses gens, autour de lui, en ont tant d’épouvante

Qu’ils fuient, le cœur perdu. Pas un ne se défend.

Les Français les poursuivent et s’acharnent sur eux

Avec tant de fureur que les rescapés n’osent

En croire leur carcasse : ils vivent, c’est miracle !

Les hommes de Montfort poussent leur avantage

Jusqu’au bord d’un ruisseau. Les soldats communaux

Restés au campement en sont saisis d’effroi…

 Alors les Toulousains, bourgeois et petit peuple,

Laissant là leur bagage, abandonnent le camp,

Courent vers la Garonne en foule débandée,

S’y précipitent, essaient d’atteindre l’autre rive.

Nombreux sont les noyés qu’emporte le courant.

Nombreux sont les gisants, alentour dans la plaine.

 L’Histoire Albigeoise : A cette vue, les compagnons dudit chevalier, quoiqu’en grand nombre, et tous les autres bientôt vaincus et mis en désordre, cherchèrent leur salut dans la fuite : sur quoi ceux des nôtres, qui composaient le premier et le second escadron, les poursuivirent sans relâche en leur tuant beaucoup de monde, et sabrant tous ceux qui restaient en arrière, ils en massacrèrent plusieurs milliers…

 Au même instant, nos chevaliers revenant du carnage, après une glorieuse victoire, et arrivant sur lesdits Toulousains, en tuèrent plusieurs mille alors que ces Toulousains fuyaient pour regagner les bateaux qui les avaient amenés par la Garonne.

 La lettre des prélats : ils firent volte-face, prirent la fuite comme la poussière devant l’ouragan, et l’ange du Seigneur était là qui les poursuivait. Les uns, par une course honteuse, échappèrent honteusement au péril de la mort ; les autres, évitant nos glaives, vinrent périr dans les flots ; un bon nombre fut dévoré par l’épée.

La Chronique : Aussitôt les ennemis tournèrent le dos et prirent la fuite; les comtes de Toulouse et de Foix, ainsi que beaucoup d’autres, préférèrent le salut à l’honneur.

La milice toulousaine, enfermée dans le camp, retranchée derrière ses chariots et ses bagages, ne savait pas encore de quel côté penchait la victoire,

Enfin, apercevant les bannières de la croix triomphante, les pauvres bourgeois se précipitèrent à la hâte dans des barques qu’ils avaient sur la Garonne. Ceux qui purent s’embarquer s’échappèrent; les autres furent noyés ou tombèrent dans la plaine sous le glaive des vainqueurs.

La Philippide : Aussitôt les Aragonais, ayant perdu leur roi, se dispersent à travers les champs et les vallons. Déjà les comtes de Foix et de Toulouse ont aussi montré le dos aux Français; quiconque peut se soustraire à la mort travaille de ses pieds à sauver sa vie en fuyant, aimant mieux devoir son salut à sa légèreté qu’à son glaive… Mais au bout de peu de temps, privée de la protection du Seigneur, elle (l’armée toulousaine) tourna le dos, et, ne pouvant soutenir un choc si violent, se laissa massacrer et céda honteusement à ses ennemis. Comme un loup, qui ayant brisé les barrières et étant entré de nuit dans une bergerie, ne cherche point à assouvir sa soif ou à avaler d’une dent avide la chair de ses victimes, se bornant à saisir à la gorge les moutons chargés de laine, ajoutant des morts à des morts, léchant le sang avec délices de sa langue toujours sèche, et rassasiant son estomac de cette chaude boisson, de même la troupe consacrée au Seigneur s’élance au milieu de ses ennemis, massacrant de tous côtés, et de son glaive vengeur elle satisfait à la colère du Seigneur, qu’avait doublement excitée contre lui-même ce peuple déserteur de la foi, et qui s’était fait compagnon des hérétiques. Nul ne s’occupe à les dépouiller ou à faire des prisonniers; seulement ils rougissent leurs glaives à force de frapper, et enlèvent la vie aux vaincus en répandant tout leur sang.

La Chronique du roi Jacques ne fait aucune allusion à cette déroute.

En conclusion, la mort du roi sème la panique dans la cavalerie occitane qui fuit vers Toulouse. Après avoir poursuivi et massacré de nombreux fuyards, la cavalerie revient sur Muret et surprend les piétons toulousains en train de prendre la ville d’assaut. Les piétons fuient pour tenter de rejoindre leurs embarcations sur la Garonne. Ils sont pour la plupart massacrés jusque dans les eaux du fleuve où bon nombre se noient.

Les effectifs et les pertes :

Dans la Cansó on apprend seulement que :

Nombreux sont les noyés qu’emporte le courant.

Nombreux sont les gisants, alentour dans la plaine.

 Dans l’Histoire Albigeoise il est écrit :

En cet instant, un d’eux lui conseilla de les faire compter pour en savoir le nombre. Auquel le noble Simon : « il n’en est besoin, dit-il, nous sommes assez pour vaincre nos ennemis par l’aide de Dieu.» Or, tous les nôtres, tant chevaliers que servants à cheval, n’étaient plus de huit cents, tandis qu’on croyait les ennemis monter à cent mille, outre que nous n’avions que très peu de gens de pied et presque nuls, auxquels même le comte avait défendu de sortir pendant la bataille. Le chiffre de 100000 est évidemment fantaisiste. Il signifie simplement que l’ennemi est en nombre.

Le massacre des Toulousains est  estimé à plusieurs milliers : Au même instant, nos chevaliers revenant du carnage, après une glorieuse victoire, et arrivant sur lesdits Toulousains, en tuèrent plusieurs mille alors que ces Toulousains fuyaient pour regagner les bateaux qui les avaient amenés par la Garonne.

La lettre des prélats montre une forte disproportion entre le nombre de morts dans le camp des coalisés et dans celui des croisés :

L’on ne peut en aucune façon connaître le nombre exact de ceux des ennemis, nobles ou autres, qui ont péri dans la bataille. Pour ce qui est des chevaliers du Christ, un seul a été tué, plus un petit nombre de servants.

Dans la Chronique il est dit : On a évalué le nombre des morts à quinze mille.

 

La Philippide précise  qu’avant la bataille Simon de Montfort était accompagné de 240 chevaliers, 70 hommes d’arme à cheval et 300 hommes de pied. Considérant que les hommes à pied ont été consignés au château pendant l’affrontement, ça induirait que Simon de Montfort à réussi à diviser une armée de 300 cavaliers en 3 corps pour combattre, toujours d’après l’auteur, 200 000 coalisés. De quoi faire rêver les belles dames à qui des troubadours raconteraient l’histoire. Je tiens cependant à préciser que M.Guizot, le traducteur de la Philippide, a cru bon de mettre une note de bas de page lorsqu’il parle des 70 hommes d’armes à cheval : Le manuscrit porte septuaginta : il y a lieu de croire qu’il faut lire septingenta, sept cents, pour que l’auteur soit d’accord avec lui-même, puisqu’il dit quelques pages plus loin, en parlant encore de l’armée de Simon, qu’elle comptait mille ducentos, à peine douze cents hommes.

En effet, au moment du récit de la bataille, on lit : , ils forment un cercle, afin de ne laisser échapper par la fuite aucun de ceux qu’ils espèrent pouvoir détruire en un instant, pensant qu’il faudra bien peu de temps à une armée de cent mille hommes pour envelopper un corps de douze cents hommes tout au plus. Les effectifs croisés ont soudain augmenté et celui des coalisés diminué.

Plus loin, arrivés à l’issue de la bataille, on lit également que l’armée de Toulouse était encore debout sur la rive du fleuve, enfermée sous quarante mille tentes élevées, ce qui donne surtout l’idée d’un nombre conséquent de miliciens. Pour les pertes, le chroniqueur précise : En ce jour la valeur des Français brilla d’un si grand éclat que cette seule journée envoya dans les marais du Styx trois fois cinq mille hommes et deux mille hommes de plus, et le bras du Seigneur les couvrit tellement de sa protection, que, sur toute l’armée des Français, il ne périt que huit pèlerins, que les ennemis avaient rencontrés sans armes. On retrouve le nombre de 15000 morts annoncé dans la Chronique.

 

On dit qu’il n’y a pas eu une seule famille toulousaine épargnée par le deuil et la peine. Le nombre de Toulousains tués fut tel que les capitouls créèrent une commission spécialement chargée de régler les problèmes d’héritage, la plupart des héritiers se trouvant être morts eux-aussi. Les Toulousains tués reposent à Muret dans un grand charnier d’où ils sont parfois brutalement extraits par le godet d’une pelle mécanique.

 Or le terrain où ils reposent risque d’être prochainement livré aux bâtisseurs pour y créer une zone industrielle. Espérons que ces travaux soient précédés de fouilles sérieuses et respectueuses.           

En résumé :

Alors quelle hypothèse retenir ? Comment écrire le récit de cette bataille tout en restant le plus près possible de la « réalité historique » ? Il serait présomptueux de faire une relation des événements en affirmant que c’est de cette façon et de cette façon seulement que les choses se sont passées. Aussi, voici le texte que je choisis d’écrire comme étant à mon avis le plus fidèle à ce qui a pu se passer :

Le mardi 10 septembre 1213, le roi Pierre II d’Aragon arrive devant Muret. Il dresse ses tentes sur les coteaux de Peyramont, à environ 2 kilomètres au nord-ouest de la ville fortifiée. Les ingénieurs montent les machines qui, dès le lendemain, vont bombarder la ville. De son côté, Raymond VI comte de Toulouse vient faire la jonction avec son allié et établit son propre camp légèrement plus au nord que celui du roi tandis que des milliers de miliciens toulousains arrivent en barque et installent leur campement en bord de Garonne à environ 2 kilomètre au nord de Muret. Le mercredi 11 septembre, l’assaut est donné et la « porte de Toulouse » forcée. Les coalisés s’emparent du faubourg tandis que la faible garnison croisée se réfugie dans la vieille ville et dans le château. C’est à ce moment que Pierre d’Aragon est informé de la marche de Simon de Montfort en direction de Muret. Il donne aussitôt l’ordre aux Toulousains d’abandonner la ville afin de ne pas empêcher Simon de Montfort d’y pénétrer. Il pense ainsi le prendre comme dans une nasse. Effectivement, Montfort avait été prévenu de l’arrivée de l’armé aragonaise alors qu’il était à Fanjeaux. Il avait aussitôt fait route vers Muret en passant pas Saverdun et Auterive. Au cours de son approche, il apprend que l’assaut est donné contre Muret. Il dépêche aussitôt un courrier à sa femme, partie pour Carcassonne, en la priant de lui envoyer des secours. Elle en trouve auprès du vicomte de Corbeil qui s’apprêtait à repartir, sa quarantaine achevée. Malgré la hâte que Simon de Montfort avait de porter secours à sa garnison, il prit le temps de s’arrêter à l’abbaye de Boulbonne pour y rédiger son testament et vouer son épée à Dieu. On dit qu’il y fit lecture au sacristain Maurin qui doutait de la victoire, d’une lettre interceptée par un domestique. Cette lettre était signée du roi d’Aragon et s’adressait à une dame à qui le roi déclarait venir par amour pour elle chasser les Français du pays. Arrivé à Saverdun Montfort veut pousser jusqu’à Muret mais ses officiers sont d’avis d’attendre afin de reposer les troupes. Profitant de cet arrêt, Foulques, évêque de Toulouse, envoie un messager au roi d’Aragon pour lui demander un sauf-conduit pour lui et les autres évêques dans le but de venir lui faire des propositions de paix. Le mercredi 11 septembre, lors de la messe, les prélats excommunièrent le comte de Toulouse, son fils, le comte de Foix et son fils, le comte de Comminges et tous leurs associés. Seul le roi d’Aragon échappe à l’anathème. Quand ils arrivent à Auterive, le courrier dépêché par l’évêque Foulques au roi d’Aragon arrive et annonce que Pierre II leur refuse un sauf-conduit sous pretexte qu’ils sont accompagnés d’une armée. Cependant, jusqu’au moment de l’affrontement, les tentatives de conciliation continueront. Enfin l’armée croisée arrive à Muret par le pont qui franchit la Garonne. Aussitôt dans la ville, Montfort est pressé de combattre  par ses hommes. Mais Montfort refuse. Il préfère que ses troupes se reposent et, au fond de lui, il espère que Pierre d’Aragon acceptera un compromis.

Le 12 septembre 1213, Simon de Montfort va entendre la messe à l’église du château de Muret alors que les évêques et les chevaliers suivent l’office à l’église du bourg. Pendant ce temps les négociations continuent sans aboutir à une entente.

Dans la plaine, après avoir assisté à la messe, le roi d’Aragon tient un conseil de guerre. Il propose de livrer une grande bataille. Raymond VI propose au contraire d’attendre, de faire dresser des palissades derrière lesquelles se posteraient les archers communaux. Quand Simon sortirait, ces derniers feraient pleuvoir une nuée de flèches sur les croisés avant que la cavalerie occitane ne charge. Cette proposition de sagesse est rejetée. Tous vont s’armer et déferlent sur la ville. La porte de Toulouse est enlevée mais les coalisés n’arrivent pas à pénétrer dans la ville tant le combat est acharné à tel point que le portail est tout vermillon du sang versé. Les Occitans sont contraints de rejoindre leurs camps.

Montfort rassemble ses hommes à la porte de Salles. Il leur dit qu’ils vont attaquer l’ennemi mais que, si la manœuvre échoue, ils fuiront. Il divise ses troupes en trois corps puis les évêques procèdent à la bénédiction des combattants. Les quelques 900 cavaliers, chevaliers et sergents à cheval confondus, emprunte le chemin qui longe les remparts en bord de Garonne. Arrivés au pont qui franchit le fleuve, ils continuent tout droit jusqu’au pont Saint-Sernin situé en contrebas du château. Lorsqu’ils jaillissent dans la plaine, c’est le branlebas dans le camp d’Aragon. Le roi Pierre rassemble ses hommes à la hâte. Le comte de Foix lance une première charge. Le roi d’Aragon charge dans le deuxième corps. Le premier corps est enfoncé par les croisés mieux entrainés au combat et montés sur des chevaux lourds. Rapidement les croisés entourent celui qu’ils prennent pour le roi car il en porte les couleurs. Ils sont rejoints par la seconde ligne croisée. Alain de Roucy et Florent de Ville terrassent le porteur des couleurs royales qu’ils ont pris pour le roi, en s’étonnant d’avoir réussi à abattre un chevalier renommé pour sa vaillance au combat. Pierre d’Aragon, par bravade et pour éviter que la nouvelle de sa mort ne sème la panique dans ses rangs, se nomme à ses ennemis tout en frappant autour de lui. Il est aussitôt abattu et sa garde rapprochée meurt en tentant vainement de protéger ce qui n’est plus que la dépouille de leur suzerain. Simon de Montfort est dans le troisième corps et ne peut charger dans la mêlée. Il entreprend alors une manœuvre de contournement par sa droite afin de pouvoir charger directement l’ennemi. Un fossé barrant sa route, il trouve un sentier qui en désigne un gué. Il l’emprunte aussitôt et tombe alors sur des coalisés qui, après une faible résistance, se débandent de toutes parts. A ce moment-là l’annonce de la mort du roi se répand comme une traînée de poudre. La cavalerie occitane tourne bride et fuit vers Toulouse, poursuivie par la cavalerie française qui tue plusieurs des fuyards. Montfort suit en ordre de bataille, prêt à intervenir pour le cas où les Occitans se regrouperaient en vue de tenter une contre-attaque.

Pendant ce temps, les piétons toulousains montent à l’assaut du château. Ils sont repoussés par les piétons croisés à qui Montfort avait demandé de rester dans la place. L’évêque de Toulouse leur envoie un messager pour essayer de négocier mais il est mis à mal par les Toulousains, ignorants du sort de la bataille. Ils sont persuadé que le roi d’Aragon est vainqueur. C’est alors que la cavalerie croisée revient vers Muret soulevant  la panique dans la milice toulousaine qui essaye de rejoindre les embarcations à bord desquelles elle est revenue de Toulouse. Quelques-uns réussirent à fuir tandis que des milliers sont massacrés ou se noient dans les flots de la Garonne. Il y eut cependant quelques prisonniers qui périrent dans les fers ou qui furent libérés contre forte rançon comme ça se pratiquait couramment à l’époque.

Guidé par Matfred de Belvèze et quelques autres chevaliers, Montfort se fait conduire auprès de la dépouille du roi qu’ils trouvent étendu nu sur la terre. Il fait enlever le corps par les frères Hospitaliers de Saint-Jean.

Par le monde se répand la rumeur

Sinistre du désastre.

 

Quel coup ce fut, quel deuil, quelle douleur terrible

Quand le roi d’Aragon resta sanglant dans l’herbe !

Quelle perte la mort de tant de chevaliers !

Honte à la chrétienté d’avoir permis cela !

                                                                              Bernard Meysonnet – juillet 2010

 

 

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